Cet article est la traduction en Français de l’article « Endobiogeny and aromatherapy » de Jean-Claude Lapraz, MD, Kamyar M. Hedayat, MD, Dan Kenner, PhD, Lac, paru dans l’International Journal of Professional Holistic Aromatherapy, Vol.2 Numéro I, été 2013
Traduction par Brigitte Lapeyronnie Robine
Introduction
L’aromathérapie clinique offre de nombreux avantages dans le soin apporté aux patients, comme la possibilité de dosages moindres ou encore la multiplicité des voies d’administration comme l’inhalation, l’application topique, la voie orale ou rectale. L’aromathérapie clinique contemporaine peut être retracée depuis le travail empirique du Dr Jean Valnet jusqu’au travail scientifique de ses élèves, entre-autres Christian Duraffourd, MD et Jean-Claude Lapraz, MD.
L’aromathérapie clinique peut amener un soulagement très satisfaisant à de nombreux patients, mais la grande majorité de la littérature à ce jour s’est centrée presque exclusivement sur le traitement symptomatique (Buckle, 1999 ; Hedayat, 2008 ; Hueberger et coll. 2004 et 2006 ; Tildesley et coll. 2003 et 2005 ; Lin et coll. 2007 ; Goel et coll. 2005 ; Haze et coll. 2002). Pour que l’aromathérapie clinique puisse évoluer vers une méthodologie précise, on a besoin d‘une approche systématique afin d’évaluer la maladie d’un patient dans son ensemble. La méthode endobiogénique développée par les Drs Duraffourd et Lapraz durant les 40 dernières années, présente une telle approche. Le travail à l’origine a porté sur les huiles essentielles, et les huiles essentielles tiennent encore aujourd’hui un rôle important dans cette méthode (Duraffourd et Lapraz, 2002).
Endobiogénie
L’endobiogénie est un système d’approche de la pratique clinique qui prend en compte le système global du corps : les organes pris individuellement, leur activité cellulaire et métabolique à l’intérieur d’eux-mêmes et de leur part, tout comme les relations entre eux et vis-à-vis du fonctionnement global de la personne. Elle est solidement enracinée dans la recherche scientifique moderne en endocrinologie physiologique et pathologique (Lapraz et Hedayat, 2013). L’endobiogénie est l’étude intégrative des mécanismes structurels de régulation du corps humain lors de l’homéostasie tout comme lors de sa réponse fonctionnelle à des stress internes et externes, comme les infections pathogènes ou le stress émotionnel.
La méthode endobiogénique évalue l’état qualitatif et quantitatif du corps et de son milieu interne : le « terrain » biologique dans lequel le corps fonctionne. La stratégie du traitement endobiogénique est de rétablir le terrain de la constitution de la personne, antérieur à la maladie. Quand cela n’est pas possible, nous cherchons alors à soutenir la capacité d’amortissement et à aider l’organisme à atteindre le niveau le plus haut de fonctionnement d’homéostasie. La capacité d’amortissement correspond au mécanisme adaptatif auquel le corps doit faire face lorsque des besoins soudains lui sont soumis. Par exemple, le corps stocke du bicarbonate et peut faire face rapidement à une certaine acidité développée de cette façon. Un autre exemple, c’est que 98% de la plupart de nos hormones sont liées et non utilisées, restant en arrière-plan, liées à des protéines de transport. Cependant, lors de périodes de grand besoin physiologique, ces hormones (comme la T3) peuvent être rapidement relâchées. Les symptômes de toute maladie sont toujours envisagés à la lumière du fonctionnement global de l’organisme dans sa totalité.
La méthode endobiogénique comprend trois axes. Le premier considère l’histoire détaillée, qui commence avec l’histoire prénatale, les caractéristiques de l’enfance, l’histoire familiale, les facteurs héréditaires, etc. Une ligne de vie est créée qui cartographie les traumas physiques et psychiques importants et qui sont alors reliés à l’apparition et à la progression des différents symptômes.
Le deuxième axe, c’est l’examen physique détaillé. L’examen endobiogénique est assez complet et singulier à plusieurs titres. Il se fonde sur l’observation du fait que certaines relations neurologiques et endocriniennes peuvent être vues et palpées sur le corps humain. Par exemple, on sait que la dopamine affecte la rapidité du clignement spontané des yeux (Karson, 1989). Un patient qui se plaint d’angoisse et qui cligne beaucoup des yeux a une dopamine élevée. Une huile essentielle qui a des propriétés neuro-physiologique de dissociation, comme le Ylang-Ylang (Cananga odorata) peut être indiquée pour un tel patient. (Un agent de dissociation neuro-physiologique est un agent qui accroît l’activité mentale tout en réduisant les signes de stress physiologiques, comme la pression artérielle et la fréquence cardiaque). Des études cliniques récentes ont montré que l’inhalation et les applications cutanées de Ylang-Ylang augmentent un état calme (ondes alpha) tout en réduisant la pression artérielle. (Hongratanaworakit et Buchbauer, 2004 et 2006). Un autre exemple, le cortisol occasionne un coussinet adipeux sur l’os zygomatique, parmi d’autres endroits. Un patient qui présente des symptômes de stress et de fatigue et qui a ce coussinet adipeux peut bénéficier d’une équilibration neuro-endocrinienne, avec un produit qui soutienne l’activité surrénalienne tout en réduisant le système nerveux central et la stimulation hormonale de la glande surrénale. La sauge sclarée (Salvia Sclarea) est un bon exemple d’huile essentielle adaptée au terrain d’une telle personne (Park et Lee, 2004).
Le troisième axe de l’approche endobiogénique, c’est le système de modélisation biologique, la Biologie des Fonctions. La Biologie des Fonctions est un outil de modélisation biologique qui relie les biomarqueurs du sérum à des ratios et des produits directs et indirects. Cela permet une évaluation à la fois qualitative et quantitative du terrain du patient et peut améliorer grandement le traitement qu’offre le clinicien des causes réelles de la maladie du patient. Du fait de la nature mathématique de ces index, l’état du patient peut être évalué objectivement au cours du temps (Lapraz et Hedayat, 2013).
Avec une bonne évaluation du terrain, le praticien en endobiogénie est capable d’appliquer un schéma phytothérapeutique rationnel. Nous croyons que l’utilisation de plantes médicinales et de leurs divers extraits – y compris les huiles essentielles- est la méthode la plus efficace pour réguler les déséquilibres. Cependant, la méthode endobiogénique peut aussi utiliser d’autres traitements, y compris l’utilisation de produits pharmaceutiques lorsqu’ils sont indiqués par la sévérité de la maladie et/ou par l’insuffisance des capacités d’amortissement du patient.
Les principes de base
Ne pas nuire : c’est le mot d’ordre de tout système de traitement, y compris de l’endobiogénie. Le type de traitement choisi, la voie d’administration et la posologie dépendent tous de la sévérité de la maladie, des comorbidités et de l’état global du terrain du patient.
Le traitement symptomatique : les symptômes ne sont jamais ignorés et parfois nécessitent une attention urgente sur tout autre considération. Cependant, une fois qu’on s’est occupé des symptômes urgents, les facteurs fondamentaux du terrain devront de même être envisagés.
Corriger le terrain : C’est un élément thérapeutique clé dans le traitement de toute maladie chronique et pour prévenir les récidives des troubles aigus. Le terrain est l’expression fonctionnelle de l’héritage génétique. C’est un jeu dynamique et continu entre les éléments structurels et fonctionnels du corps, les capacités de base et adaptatives et le fonctionnement, et les éléments inducteurs et réactifs contre les agressions internes et externes. Le concept important dans la correction du terrain c’est celui d’assurer un drainage approprié des émonctoires.
Drainage : Les émonctoires selon le concept endobiogénique comportent tous les organes qui excrètent. Les émonctoires servent à de nombreux buts, comme aider à la digestion, à la détoxification et à la production de vitamines. Parmi les émonctoires, les plus fondamentaux pour une activité physique appropriée sont le foie, le pancréas et la vésicule biliaire du fait de leur lien au métabolisme. Parmi les voies de drainage, la voie lymphatique joue aussi un rôle important.
Quand un organe est débordé, il peut faire l’expérience d’une congestion toxique par accumulation de produits de déchets métaboliques. Une activité alpha-sympathique élevée peut entraîner une congestion vasculaire des organes. Dans tous les cas, il y a une fonctionnalité atténuée de l’organe due à la congestion (Duraffourd et Lapraz, 2002).
Le processus de drainage est appliqué stratégiquement aux systèmes organiques affectés. Par exemple, quand il y a une maladie fréquente des voies respiratoires, le pancréas est impliqué au niveau général et les ganglions lymphatiques sont impliqués à un niveau loco-régional. Dans ce type de maladie, les ganglions lymphatiques cervicaux peuvent être drainés afin que le système immunitaire fonctionne bien et le pancréas devrait être drainé afin de permettre au terrain qui a conduit à une telle maladie d’être corrigé. Le drainage du foie et des voies biliaires est essentiel lors de nombreux états, surtout quand il y a un besoin accru d’oestrogènes ou d’hormones thyroïdiennes en réponse à des demandes métaboliques du corps. Les drainages des reins, du pancréas, du gros intestin et de la peau peuvent tous intervenir dans le plan thérapeutique.
Les émonctoires et les huiles essentielles : La méthode endobiogénique utilise les formes galéniques les plus efficaces, comme les formes naturelles plutôt que des composants synthétiques, pour aborder différentes maladies. En plus de l’utilisation de la gemmothérapie et de teintures mères, nous avons trouvé que les huiles essentielles peuvent être efficaces pour le drainage. Notez que beaucoup d’huiles essentielles qui sont efficaces pour le drainage le sont aussi pour traiter les troubles infectieux et non infectieux des organes qu’ils drainent. Cela confirme à nouveau la complexité des éléments phytothérapeutiques tout comme leur grande efficacité dans le traitement simultané du terrain et des symptômes. Ci-dessous sont listés les principaux émonctoires et les huiles essentielles qui, selon notre expérience, sont efficaces pour le drainage.
Foie : Sauge officinale (Salvia officinalis) (Lima et coll., 2004), Carotte (Daucus carota), Marjolaine (Origanum Majorana) (el-Ashmawy et coll., 2005) et Nigelle, huile pressée (Nigella sativa) (Lee et coll., 2003).
Pancréas : Cannelle écorce et feuille (Cinnamomum Zeylanicum) (Talpur et coll., 2005), Origan commun (Origanum vulgare) (Talpur et coll., 2005), Romarin (Rosmarinus officinalis) (al-Hader et coll., 1994), Eucalyptus (Eucalyptus globulus, Eucalyptus radiata), Geranium Herbe à Robert (Perlagonium robertum), Genévrier (Juniperus Communis).
Vésicule biliaire : Romarin (Rosmarinus officinalis), Menthe poivrée (Mentha Piperita) (Goerg et Spilmer, 2003), Carvi (Carum Carvi) (Goerg et Spilker, 2003).
Reins : Genévrier (Juniperus Communis) (Stanic et coll., 1998 ; Ripka, 1964), Lavande (Lavandula Angustifolia), Angélique (Angelica Archangelica) (Starker et Nahar, 2004), Bouleau (Betula Pubescens), Romarin (Rosmarinus officinalis), Fenouil (Foeniculum Vulgare).
Lymphatique : Laurier noble (Laurus Nobilis), Cyprès (Cupressus Sempervirens), Genévrier (Juniperus communis).
Approche endobiogénique du terrain et les effets antimicrobiens des huiles essentielles.
Le travail d’un des auteurs (JCL) avec C. Duraffourd, MD, dans les années 1970-1980, concernant les effets antimicrobiens des huiles essentielles, a produit d’importantes observations sur l’importance du terrain en déterminant quelles sont les huiles essentielles à utiliser pour traiter tel patient (Duraffourd et Lapraz, 2002). Ils ont développé un aromatogramme en utilisant des disques imprégnés d’huiles essentielles pour évaluer l’efficacité de différentes huiles essentielles et de leurs chémotypes vis-à-vis de différentes bactéries, qu’elles soient gram plus ou gram moins.
De ces études, ils ont conclu deux points clé. D’abord, l’activité antimicrobienne de l’huile essentielle provient du jeu en synergie de tous ses composants en totalité et de ses interactions avec le terrain du patient. Le deuxième point, la catégorisation des huiles essentielles en « douces » ou « fortes » en usage interne, fondée sur la concentration de groupes fonctionnels et de leurs effets topiques, est une notion erronée. Ils ont comparé les effets du géraniol et de deux huiles essentielles qui contiennent du géraniol : le Thym (Thymus Vulgaris ct. géraniol) et le Géranium Rosat (Pelargonum asperum) ayant une forte concentration de géraniol qui n’est pas typiquement trouvée.
Tableau 1. Activité antimicrobienne du géraniol en tant que composant isolé versus les chémotypes de géraniol du Thym et du Géranium.
Alors que le géraniol à 100% a eu une efficacité modérée contre un large spectre de germes gram – et gram +, le thym, avec son contenu plus faible en géraniol a eu plus d’activité contre les germes gram – que le géraniol pur ou que l’huile essentielle de Géranium, tous deux ayant des contenus en géraniol plus forts. Ainsi, un composé particulier n’explique pas suffisamment à lui seul l’activité antimicrobienne des huiles essentielles.
Au départ, quand nous avons souhaité traiter les maladies infectieuses de nos patients, nous avons d’abord voulu déterminer l’huile essentielle optimale de l’aromatogramme. Une fois que nous avons établi les huiles essentielles appropriées pour traiter les infections de nos patients, nous avons trouvé que la dose nécessaire pour arriver efficacement à soulager l’infection a été plus basse que prévue par le Concentrations Minimales inhibitrices (MIC) déterminé par nos études in vitro. Par exemple, nous avons trouvé que, in vivo, la concentration minimale inhibitrice pour un adulte typique, est de 1×10-4 g d’huile essentielle par ml de fluide corporel. Faisons l’hypothèse qu’un patient reçoive une goutte standard US d’huile essentielle par dose soit 0,05g. En diluant cela dans 40 litres d’eau corporelle totale, la concentration d’une dose unique d’huile essentielle serait de 1.25 x 10-5g/ml de fluide, bien en dessous du MIC. L’activité antimicrobienne in vivo survient du fait d’un changement dans le terrain grâce au drainage, à la détoxification et aux modifications neuro-endocriniennes.
En conséquence, nous avons tous abandonné cette méthode pour une approche selon laquelle, parmi les centaines d’huiles essentielles à activité antimicrobienne appropriée, nous avons choisi les huiles essentielles les plus adaptées au terrain endobiogénique du patient. Finalement, nous avons conclu que l’activité antimicrobienne des huiles essentielles ne se fonde pas seulement sur ses actions in vitro, mais aussi sur le terrain que cela soit par immunomodulation, drainage, ou par l’activité neuroendocrine ou génétique. Les doses sont trop basses pour être directement antimicrobienne sauf dans les cas d’application topique directe d’huiles essentielles sur une peau infectée ou dans les cas d’absorption transdermique pour infections intra-articulaires. Quand nous utilisons des huiles essentielles pour traiter des infections, nous trouvons que la combinaison d’huiles essentielles les moins toxiques, en usage interne à intervalles réguliers est l’approche thérapeutique la plus efficace.
Les chémotypes peuvent être utiles pour des cas particuliers, comme des sensibilités anatomiques locales singulières à un patient. Par exemple, on pourrait souhaiter utiliser du Thym vulgaire (Thymus Vulgaris) à linalol pour un jeune enfant afin d’éviter les effets muco-irritants de concentrations fortes en thymol. Cependant un choix rationnel endobiogénique d’huile essentielle conduit typiquement à une dose relativement basse et suffisamment diluée pour que cela ne soit probablement pas irritant pour la muqueuse. De toutes façons, on devrait éviter le penchant pour « l’aromachimie », qui n’est qu’une autre forme de pensée réductionniste. L’aromachimie a pour tendance d’attribuer les effets globaux des huiles essentielles « seulement » à leur contenu chimique (Schnaubelt, 1999) sans considérer leur impact sur le terrain de l’individu. Quand on traite des patients par voie interne et en considérant le terrain, le chémotype particulier de l’huile essentielle n’est pas aussi important que le fait d’accorder les effets globaux des huiles essentielles à ce patient particulier.
Considérons un patient ayant une infection sévère, aigue avec une réponse alpha sympathique élevée (mains et pieds froids, rythme respiratoire élevé, pupilles dilatées, appétit diminué). Nous avons trouvé que l’huile essentielle de Lavande, qui est considérée comme une huile essentielle « douce » du fait de ses groupes fonctionnels avec beaucoup d’alcool, est plus efficace quand elle est utilisée par voie interne pour ce type de patient qu’une huile essentielle riche en phénols comme la sarriette (Satureja Montana). La sarriette avec ses propriétés sympathomimétiques, peut exacerber l’activité alpha-sympathique élevée d’un tel patient et conduire à un état hyper-catabolique.
Dans le cas d’une infection, le système immunitaire du corps est stimulé par le système nerveux autonome et géré par le système endocrinien. Le système immunitaire est en fin de compte ce qui gère l’infection. L’utilisation par voie interne d’huiles essentielles est si diluée que ses effets antimicrobiens n’entrent pas en jeu. C’est l’effet des huiles essentielles sur le terrain, c’est-à-dire sur le drainage des émonctoires, la facilitation de l’activité neuro-endocrinienne et la stimulation de l’activité immunitaire qui gère réellement l’infection.
Conclusion
L’endobiogénie est une forme de médecine fondée sur les systèmes et développée depuis les 40 dernières années par les Drs Duraffourd et Lapraz. C’est une vraie forme de médecine intégrative en ce sens qu’elle intègre les différents éléments du terrain du patient d’une manière cohérente qui respecte la globalité de l’être humain. L’approche thérapeutique du traitement est une approche rationnelle fondée sur l’évaluation propre du terrain endobiogénique de chaque individu. Elle comprend de nombreuses formes de traitements, y compris les huiles essentielles, fondées sur de nombreuses considérations comme la sévérité de la maladie, l’intégrité et la force d’amortissement endogène et des systèmes tampons, et la possibilité de guérison spontanée en utilisant des traitements naturels vs synthétiques. Ceux qui ont développé les traitements endobiogéniques ont un long passé d’utilisation des huiles essentielles et ont contribué par leur travail à préciser une méthodologie pour leur sélection et leur application dans différentes maladies.
Par le dr Jean-Christophe Charrié – médecin généraliste (Grasse – Symposium international d’aromathérapie et de plantes médicinales)
Cet exposé montre le type de résultats cliniques qui peuvent être obtenus sur des plaies chroniques grâce à l’emploi de moyens thérapeutiques synergiques différents constitués d’argile et d’extraits totaux de plantes médicinales appliqués au patient.
De tels traitements apportent un bénéfice important en termes de soins et d’efficacité, mais aussi en termes financiers et environnemental (ne sont utilisés ici que des produit d’extraction naturelle non modifiés).
Introduction
Le Pr Rautureau vient d’exposer toute l’intimité existant entre l’argile et la plante, ainsi que les raisons scientifiques les justifiant. Pour un médecin clinicien, certaines explications peuvent paraître complexes, mais il convient de s’y attarder pour comprendre les effets attendus de l’argile dans la thérapeutique.
Trop souvent, l’approche scientifique fondamentale oublie la finalité de l’application clinique. Dans le monde de la phytothérapie on est confronté aussi à cette même problématique. Les travaux des pharmacognostes, des pharmacochimistes, des pharmacologistes (…), bien que fondamentaux et indispensables à la connaissance de l’outil thérapeutique que représente la plante, n’apportent que peu de réponses concrètes aux applications cliniques du totum de la plante. En effet la réalité clinique démontre à chaque instant que les effets obtenus sur le vivant par la somme des principaux composants de la plante sont toujours inférieurs à ceux générés par la totalité de la plante elle même. Car au-delà de la connaissance de la totalité des éléments qui la constituent, il convient de comprendre que le rôle capital joué par la fonctionnalité thérapeutique de ces éléments agissant en synergie – conséquence de la dynamique et des nécessités de vie de la plante qui les a produits – s’explique par la nature des effets physiologiques qu’ils peuvent induire dans le corps humain.
Les données issues de la tradition, d’égale importance pour nous médecins endobiogénsites(1), sont la résultante de millénaires d’observation. Pour la plupart de transmission orale, étudiées scientifiquement par les anthropologues médicaux, elles ont leur influence dans toutes les cultures. Le travail que nous menons actuellement en commun avec les médecins Mexicains(2), nous a appris la force de cette transmission. En effet les dévastations issues de la colonisation espagnole menée par Cortez avec destruction systématique, par le feu le plus souvent, des données écrites des indigènes aurait pu effacer à jamais cette mémoire de l’humanité. Les travaux menés depuis des années par le Dr Paul Hersch entre autre, médecin Anthropologue(3), auprès des indiens du Chiapas ont permis de récolter des connaissances ancestrales sur les plantes médicinales du Mexique, et de distinguer par exemple dans la sémiologie de ces indiens, des signes issus de différentes cultures indiennes autres que celles du Chiapas (Mayas, Aztèque, etc.…), et des signes issus de la médecine occidentale du XVIe siècle.
Avec la réflexion endobiogénique nous avons intégré les connaissances issues de la tradition, de la pharmacologie et de la clinique. Grâce à cette réflexion, nous avons pu expliquer les raisons de choix des plantes.
Avec le Pr Rautureau, nous avons souhaité partager nos connaissances, d’apparence si éloignées et pourtant si complémentaires. La présentation que nous faisons au cours du symposium de Grasse est une des manifestations de ce rapprochement.
Ayant appris la science de l’endobiogénie, je me suis familiarisé à l’usage de l’argile en clinique(4), et par ailleurs, utilisant principalement la plante médicinale comme outil thérapeutique, j’ai rapidement fait usage de la plante associée à l’argile. Pendant 10 années d’exercice hospitalier au bénéfice des patients souffrant de plaies chroniques(5), j’ai été amené à utiliser à maintes reprises, et avec succès, l’argile associée à des plantes médicinales dans des cas difficiles et chez des patients dénutris. Dans le cadre de cet exposé, je présente deux cas cliniques concernant le soin de plaie chronique.
Les cas cliniques présentés ont bénéficié d’une préparation en vente en pharmacie associant de l’argile dite verte de type principal “illite” dont la structure phylliteuse est à trois couches, à laquelle est associé de l’aloès (aloe vera) et des huiles essentielles de lavande (lavandula angustifolia), de romarin (rosmarinus officinalis) et de girofle (Eugenia caryophylata).
Alors pourquoi ce choix ? Tout d’abord cette formulation a été réalisée grâce au travail clinique de la Société Française de Phytothérapie et d’Aromathérapie (SFPA). Elle répond aux règles de l’endobiogénie et a pour objectif de favoriser les processus naturels d’autoréparation de l’organisme. Mais voyons, le détail des composants de cette préparation.
Travaux cliniques sur l’illite (Travaux de la Société Française de Phytothérapie et d’Aromathérapie)(6).
L’illite concernée (communément nommée argile verte(7)) a fait l’objet d’études cliniques nombreuses sur plus de 20 ans effectuées par un groupe de recherche de 22 médecins appartenant à la Société Française de Phytothérapie et d’Aromathérapie.
Les différentes propriétés thérapeutiques retrouvées sont, pour la voie locale les suivantes :
- cicatrisante ;
- détergente ;
- antiseptique ;
- anti-infectieuse ;
- antimycosique ;
- anti-inflammatoire ;
- désinfiltrante ;
- antalgique ;
- désodorisante ;
Expérience sur le traitement des maux perforants plantaires des lépreux réalisée au Sénégal avec l’illite seule
Ces propriétés thérapeutiques observées pour un usage local sont confortées par les résultats d’un essai réalisé au Sénégal par les docteurs Claude Duraffourd et Jean-Claude Lapraz, sous l’égide de la Fondation Raoul Follereau auprès d’une population de malades lépreux.
Le rapport définitif de “l’essai de traitement des maux perforants plantaires de la lèpre par l’argile verte” (incluant 65 patients, 31 cas d’étude et 34 cas témoins) réalisé par le Docteur Abdoulaye Ndiaye (Premier conseiller auprès du Ministère de la Santé du Sénégal) relate dans ses conclusions les résultats suivants :
Concernant les résultats après le traitement par l’argile verte (31 cas) :
la guérison avec cicatrisation complète a été obtenue en moins de deux mois chez 48,4 % des cas traités par l’argile ;
la cicatrisation à quatre mois est de 58,1 % des cas de l’étude. Deux derniers cas de guérisons surviendront respectivement au 5ème et 6ème mois du traitement portant à 64 % le taux de guérison à 6 mois de traitement par l’argile verte ;
l’action anti-inflammatoire et anti-infectieuse a été observée cliniquement en moins de deux mois dans 84 %.
Concernant les résultats des témoins (34) après le traitement par la méthode PNL (programme national contre la lèpre) établi par l’O.M.S. :
- les cas de guérison précoce à moins de 4 mois de traitement sont peu fréquents, le taux de guérison à 4 mois étant de 23 % ;
- le taux de guérison à moins de 6 mois de traitement n’est que de 26 % ;
- le taux de guérison sur une durée d’étude de 18 mois est de 58 %.
Cette étude conclut que l’argile verte est bien efficace pour le traitement des MPP (mal perforant plantaire) de la lèpre, grâce à une action anti-inflammatoire, anti-infectieuse et cicatrisante, cliniquement évidente. L’avantage de l’argile sur le traitement classique pourrait être :
- La précocité de l’action anti-inflammatoire et anti-infectieuse (moins de 2 mois) et cicatrisante (58 % à 4 mois), ce qui permettrait des traitements de plus courte durée, mieux tolérés ;
- La simplicité de la méthode de pansement pouvant être exécutée correctement par le malade lui-même à domicile ;
- L’accessibilité financière du traitement.
Intérêt des autres constituants de cette préparation :
Conclusions
Au total, au travers les études citées ci-dessus, cette préparation par ses propriétés anti-inflammatoire, anti-infectieuse et cicatrisante doit permettre la mise en évidence de l’évolution favorable de la plaie, en particulier sur sa composante inflammatoire et microbienne.
L’étude de cette préparation repose, comme nous l’avons vu, sur des connaissances scientifiques établies et sur une expérimentation concernant chacun de ses composants.
Le risque encouru par les patients est par ailleurs inférieur aux bénéfices escomptés. Au pire, on peut s’attendre à une stagnation de la lésion. Le seul risque potentiel connu est de type allergique, lequel correspond à une eczématisation des pourtours de la plaie, ce qui est également décrit avec les différents traitements utilisés dans ce type de soin.
Modalité clinique d’application
Remarque préalable : nous avons choisi volontairement deux cas cliniques dont les photographies présentent le moins de risque possible pouvant choquer les lecteurs.
Dans notre approche clinique, nous avons utilisé cette préparation au sein du Centre d’Activité Plaies et Cicatrisation (CAPCic)(10) de l’hôpital de la Rochelle. Nous l’avons utilisé pour déterger des escarres nécrotiques et des ulcères fibrineux résistant aux autres traitements de détersion.
Les soins sont à réaliser une fois par jour, ils comprennent :
- lavage de la plaie avec une solution de chlorure de magnésium à 20 ‰ dans du sérum physiologique stérile ;
- séchage avec compresses stériles ;
- détersion manuelle si besoin ;
- protection des berges de la plaie avec de la pâte à l’eau (Argile blanche, oxyde de zinc, glycérol) ;
- application le la préparation en couche épaisse (environ 1/2 cm d’épaisseur afin de maintenir une bonne humidité au contact de la plaie) dans l’ulcère sans déborder sur la surface cutanée ;
- recouvrir de compresses stériles, humidifier si besoin avec la solution ci-dessus et placer un bandage réalisé de façon à maintenir l’humidité du pansement.
Premier cas clinique :
Il s’agit d’un patient masculin, âgé de 78 ans, multi artéritique amputé du membre inférieur droit, dénutrie, et suivi par le CAPCic pour cicatrisations de son moignon d’amputation et de plaies de distalité sur le membre restant. Les soins sont réalisés tous les jours, la plupart du temps au domicile par l’infirmière libérale, et deux fois par semaine par l’Equipe du CAPCic.
A la suite d’une malposition lors d’un repas, son genou gauche en appui contre la table présente l’apparition d’une escarre d’évolution rapide. En l’absence de médecin, et en attendant sa consultation programmée deux jours plus tard auprès du CAPCic, l’infirmière du domicile habituée aux soins avec la préparation d’argile et de plantes médicinales met en place le premier pansement sur la plaque de nécrose.
Deux jours plus tard, apparaît le sillon d’élimination et le ramollissement de la nécrose ce qui lui permet d’éliminer la nécrose avec le bistouri.
Nous recevons le patient le lendemain 17 janvier 2008 avec cette plaie photographiée à (J + 3). Elle présente un pourtour inflammatoire marqué, une fibrine épaisse en son centre et déjà un bourrelet périphérique actif.
Nous poursuivons les soins avec la même préparation.
- Son aspect à (J + 21) soit le 4 février 2008 : la fibrine centrale à totalement disparu, du tissus tonique a pris sa place, l’inflammation périphérique à diminuée.
- Nous poursuivons les soins avec la même préparation.
- Son aspect à (J + 42) le 25 février 2008 : disparition de l’inflammation périphérique, le bourgeon charnu est très actif et occupe toute la place et favorise l’épithélialisation.
Nous arrêtons la préparation et terminons les soins à l’aide d’un tulle.
À (J + 63) le 17 mars 2008 : la plaie est pratiquement cicatrisée.
Second cas clinique :
Il s’agit d’une escarre trop classique concernant l’appui du talon droit chez un patient âgé de 78 ans grabataire et dénutri.
Voici son aspect lors de notre prise en charge le 25 février 2008.
Il existe une nécrose noire centrale 90 % et un bourrelet périphérique de qualité moyenne (zone claire témoignant d’une faible vascularisation). Différents pansements ont été réalisés pour ramollir cette nécrose, une scarification a été effectuée. Devant une réponse insuffisance de ces différents protocoles nous mettons en place le soin avec la préparation Argile et plantes médicinales.
Voici son aspect à (J + 14) soit le 10 mars 2008 après détersion au bistouri des tissus nécrosé (peau et coussinet adipeux talonnié.
Et maintenant son aspect à (J + 24) soit le 20 mars 2008. Il reste en position centrale de la fibrine ; la périphérie présente un tissu actif très tonique.
Enfin son aspect à (J + 35) le 31 mars 2008, où l’on remarque de nombreux bourgeonnements actifs en position centrale et un début de comblement de la perte de substance.
Ce qui est intéressant dans ce cas clinique c’est que malgré une évolution satisfaisante de la plaie, il est apparu une escarre sur le talon gauche.
Une photographie a été réalisée dans les premiers jours de son apparition.
Un peu plus d’une dizaine de jours plus tard, la nécrose est totalement ramollie et on aperçoit clairement la présence circonférentielle du bourrelet d’élimination. Ce signe donne le feu vert à la détersion mécanique
Après la détersion, on s’aperçoit que la plaie est très tonique et, fait rare, il y a même un saignement.
Sur cette image pleine d’espoir, nous suspendons cette présentation clinique.
Nous avons de nombreux cas cliniques similaires. En pratique, nous avons utilisé ce protocole, parfois en désespoir de cause, et obtenu des résultats inespérés. Bien familiarisé à son usage nous l’avons ensuite appliqué en première intention et rarement nous avons été déçus par le résultat obtenu qui était celui que nous attendions.
Nous avons récemment évalué une autre préparation à base d’argile dite verte, de miel, de cire d’abeille et d’huile riche en acide gras essentiels, indiqué dans les plaies non surinfectées. Il s’avère que cette préparation trouve toute sa place dans la suite des soins faits avec celle comprenant les huiles essentielles.
Nous souhaitons maintenant pouvoir faire une étude d’évaluation de ce type de prise en charge à grande échelle avec la ville de Mexico dans le cadre de son programme d’intégration de la plante médicinale dans le système de santé publique et gratuit ; nous espérons vous présenter les résultats de ces travaux dans les 5 années à venir.
Note
1.Dr C. Duraffour , Dr J.-C. Lapraz ; Traité de Phytothérapie clinique, endobiogénie et médecine, éditions MASSON, Paris 2000.
2.Collaboration entre la SIMEPI (société Internationale de Médecine Endobiogénique et de Physiologie Intégrative) et la SMFC (Sociedad Mexicana de Fitoterapia Clinica, A. C.).
3.INAH (Instituto Nacional de Anthropologia e Historia – Mexique). http://www.inah.gob.mx/
4.Dr J.-C. Charrié ABC de l’argile, éditions Grancher, Paris 2007.
5.Dr P. Chasseuil, Dr J.C Charrié ; Le centre hospitalier de La Rochelle met le cap sur la cicatrisation ; Journal des Plaies et Cicatrisation N°75 09/10 XV pp 10-13.
6.Ensemble des travaux relevés dans l’ouvrage ABC de l’argile (référence donnée ci-dessus).
7.La couleur d’une argile reflète en partie sa constitution chimique mais n’est pas particulièrement en relation avec les propriétés thérapeutiques car des argiles très différentes peuvent avoir une couleur quasiment identique. Toutefois, un large public s’est habitué à caractériser une argile par sa couleur. Ainsi, l’illite a le plus souvent la couleur verte, ce qui justifie cette dénomination « d’argile verte ». En cas d’applications précises, il faut se référer à la classification des argiles (voir « Argiles et santé, 2010).
8.Dr R. Dodeur, 1999. Place des moyens thérapeutiques d’extraction naturelle pour les malades en soins palliatifs ; Mémoire Diplôme Universitaire soins palliatifs, Faculté de médecine de Lille.
9.F.J. Diarra, Etude comparative de deux régimes thérapeutiques dans le traitement des maux perforants plantaires d’origine lépreuse observés à l’institut Marchoux de Bamako (Mali) ; Thèse de Médecine, 22/01/2000, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odonto-Stomatologie du Mali.
10.P. Chasseuil, J.-C. Charrié, Le centre hospitalier de La Rochelle met le cap sur la cicatrisation ; une vision intégrative de la prise en charge des plaies avec le Centre d’Activité Plaies et Cicatrisation (C.A.P.Cic.), Journal des Plaies et Cicatrisation N°75, septembre 2010 Tome XV.
Par Michel Ratureau – docteur d’Etat ès Sciences Physiques, membre du GFA (Grasse – Symposium international d’aromathérapie et de plantes médicinales)
Minéraux microcristallisés, les argiles ont des propriétés qui les rapprochent des modernes nanomatériaux et nombreuses d’entre elles restent encore à exploiter. Cette conférence présente les caractéristiques des différentes familles d’argiles afin de les relier à leurs applications.
Les argiles possèdent des propriétés qui ont permis de leur associer, entre autres, des huiles essentielles permettant ainsi de les employer dans un domaine pharmaceutique très utile dans le cadre des produits d’extraction naturels. Cette association se prolonge dans le domaine thérapeutique et clinique dans des domaines très variés allant de l’épidémiologie à des pathologies non communicatives.
Les plantes de la racine à la fleur, le rôle des argiles
Introduction
Les végétaux ont depuis toujours cohabités auprès et avec le monde animal. Pour un grand nombre de végétaux le sol est leur support naturel. Il apporte aux plantes, pour leur croissance, l’essentiel de leurs besoins en éléments chimiques complétés par des échanges gazeux et liquides avec l’atmosphère. Certains de ces échanges conduisent à la formation de molécules intéressantes pour l’exploitation artisanale ou industrielle des principes actifs qu’elles comportent. Ainsi, par extraction à partir de certaines parties de la plante on recueille, entre autres, des molécules huileuses et odorifères mais aussi des molécules à usage alimentaires ou thérapeutique. Un domaine plus récent consiste à utiliser la plante pour le piégeage d’éléments chimiques ou de molécules, soit au niveau du sol soit dans l’atmosphère. Par exemple, on peut ainsi capter des éléments chimiques indésirables, des complexes ou des molécules toxiques telles que les pesticides introduites dans le sol ou encore, utiliser la plante comme piège pour le gaz carbonique par exemple. La plante dans son environnement assure donc des transferts dans les deux sens.
La dépendance de la plante au sol et à l’atmosphère conditionne son bon développement et a une incidence immédiate sur la qualité et les propriétés des produits qui en sont extraits.
Dans notre exposé, nous aborderons plus particulièrement le sol et sa composition minéralogique avec une attention particulière pour une famille minérale essentielle : celle des minéraux argileux. Les argiles que l’on cite abondamment pour leurs très nombreuses utilisations sont, dans le monde minéral, des composés très particuliers, très difficiles à étudier mais toutefois essentiels et omniprésents à la fois dans le milieu naturel mais aussi dans le monde industriel à tous les niveaux. Leurs propriétés sont, pour la plupart, de natures physicochimiques et permettent au minéral de transporter de nombreux composés qui y sont fixés temporairement avant d’être utilisés par la plante.
Historiquement ces notions ont été précisées par Hénin en 1960, elles ont été largement développées depuis.
Pour obtenir à la fin d’un processus de fabrication une huile essentielle, produit de haute qualité, rare et recherché, il convient de prendre en compte toute la chaîne environnementale allant de la naissance de la plante à l’extraction des principes actifs qu’elle a développés à la fin de sa croissance, dans le but d’utilisations bien spécifiques. L’argile a une position capitale au niveau du sol où elle est un intermédiaire essentiel pour les éléments nutritifs de la plante. L’argile est tout aussi importante dans les processus d’extraction, de transformation et de fixation des huiles essentielles et pour la chimie fine.
Traiter de l’argile implique le plus souvent la prise en compte deux types de connaissances qui sont complémentaires. En premier des connaissances acquises de très longue date, empiriques et transmises par la tradition orale et le savoir faire résultant de l’expérience. En second, viennent des connaissances modernes, dont les approches sont scientifiques et proches des structures industrielles et commerciales.
Les plantes, quand à elles, sont totalement associées aux activités humaines depuis la nuit des temps. Si la qualité des plantes dépend essentiellement de leur espèce, elle dépend également des conditions environnementales : climatiques et pédologiques ; c’est ce dernier point que nous aborderons.
Le sol, lieu d’accueil et support de la plante
Définir un sol suppose la maîtrise, ou au moins la connaissance, d’un très grand nombre de paramètres dont l’étude est affectée à des disciplines très variées. Les pédologues assurent un lien interdisciplinaire entre un monde minéral et un monde biologique intimement associés dans un sol, l’intérêt des agronomes est plus marqué par le végétal lui-même.
Essentiellement un sol est constitué par la couche superficielle d’environ un mètre d’épaisseur où sont simultanément présentes des matières minérales et organiques ainsi que des organismes vivants primaires ou supérieurs. Soumis aux contraintes météorologiques, géomorphologiques et à une forte activité biologique, un sol est en perpétuel remaniement.
Ces perturbations sans cesse renouvelées sont à l’origine de la recherche permanente d’un état d’équilibre auquel participent l’ensemble des composants. Dans la recherche de cet équilibre le monde organique vivant est très actif mais il est nécessaire qu’un mécanisme temporisateur soit également présent. Celui-ci est surtout fourni par les composés minéraux les plus divisés, donc de tailles très petites, parmi ceux-ci les argiles qui se montrent très actives.
Nous utilisons dans la suite de notre exposé, soit le singulier pour désigner indistinctement les minéraux argileux dans leur ensemble, soit le pluriel pour définir un choix plus précis dans la détermination d’une famille ou d’une espèce particulière.
Pour comprendre le rôle des argiles, dans un sol ou dans leurs applications, il faut d’abord connaître leurs propriétés fondamentales.
Les propriétés les plus importantes des argiles
La structure des argiles
Les argiles sont des silicates de très petites dimensions (en général moins de 2 micromètres). Ils sont constitués de feuillets. Pour cette raison on les nomme d’une façon plus précise “phyllosilicates”(1) mais ils restent invisibles à l’œil nu. Les différentes argiles se distinguent par leurs compositions chimiques et par la distance séparant les feuillets généralement voisins de 0,7 nanomètre (famille de la kaolinite) et de 1 nanomètre (famille des smectites) avec quelques variantes. L’origine des argiles est aujourd’hui bien connue grâce aux travaux des minéralogistes (Caillère 1963, 1982) et des géologues (Millot 1964). Essentiellement, les argiles résultent de la dégradation des roches par l’eau. Leur structure cristalline qui assimile leur composition chimique contient des défauts qui résultent de leur genèse dans un milieu plus ou moins fortement perturbé. Ces défauts sont à l’origine de leurs très nombreuses propriétés physiques et physicochimiques ; celles-ci ont conduit à une multitude d’applications dans les domaines les plus variés.
Nous allons décrire ces structures et préciser la position et la nature des défauts qui sont à l’origine des propriétés afin d’introduire progressivement leur action sur les plantes et, in fine, sur la nature des produits que l’on en extrait.
La composition chimique
Ce sont des silicates contenant essentiellement de l’aluminium, du magnésium, du fer et parfois d’autres éléments en moindres quantités. Leur analyse chimique a été longue à comprendre car les minéraux argileux sont porteurs de nombreux défauts qui sont compensés par des ions venus de l’extérieur du minéral et qui se positionnent soit entre les feuillets soit sur les surfaces externes des particules. L’analyse, bien sûr, donne en premier résultat l’ensemble des deux. Il faut donc mener de pair diverses analyses et ce n’est qu’avec la pratique que l’on est en mesure d’établir une formule chimique pertinente. Celle-ci peut prendre diverses formes suivant l’objectif que s’est fixé l’utilisateur final. N’oublions pas que la plante qui pousse sur un sol y cherche des éléments nutritifs, elle capte d’abord ceux qui sont les plus mobiles : la plupart des ions compensateurs que nous venons de citer en font partie.
La texture des argiles
Les particules sont si petites que l’œil ne peut les distinguer. Ce sont les microscopes électroniques qui permettent de les observer. On constate grâce à eux qu’elles sont constituées par des empilements de feuillets organisés les uns par rapport aux autres sous forme de particules. Une série de trois techniques permet d’accéder à l’organisation des éléments chimiques du minéral dont dépendent toutes les propriétés et d’identifier la nature de l’argile.
Les propriétés particulières aux argiles
Les capacités du sol
Nous venons de présenter l’essentiel des propriétés des argiles montrant leur rôle dans l’hébergement de diverses molécules. Il est évident que cette réserve nutritive, potentielle et dynamique, ne peut être exploitée lors d’une démarche de production agricole sans un mécanisme de renouvellement. Dans un langage agronomique, c’est toute la régénération et l’équilibre des sols qui sont en cause ainsi que la technique des amendements.
Le monde moderne met les sols en état de souffrance par une surexploitation. A cette situation d’ordre anthropique s’ajoute actuellement une évolution climatique objet de nombreuses interrogations. Les scientifiques de toutes spécialités se penchent sur les différents aspects du problème avec des résultats souvent positifs parfois coûteux et demandant aux différents acteurs un consensus difficile à obtenir pour les mettre en place. Les sanctions sont d’ordres naturels, malheureusement trop souvent irréversibles.
L’enjeu est déjà visible dans certaines régions européennes dont l’exploitation agricole de type industrielle, beaucoup trop intensive, a conduit de façon quasi-irréversible à une dégradation des sols naturels que les média caractérisent déjà de désertification. Ce résultat provient d’un lessivage intense du sol et d’amendements inadaptés qui en ont modifié la composition minéralogique ainsi que son équilibre de façon irréversible. Les exploitants, déconcertés, laissent ensuite le plus souvent les terres à l’abandon, elles n’ont alors plus la capacité de se régénérer spontanément. Il s’agit là d’un problème de société dont la maîtrise ne peut être que politique et scientifique puisque la raison n’a pas pu prévaloir.
Un domaine inquiétant de déséquilibre du sol en région de monoculture intensive et irriguée consiste dans la surconcentration d’éléments chimiques rares, non utilisés par les plantes. De graves troubles sanitaires peuvent en résulter pour les hommes et les animaux qui se nourrissent des végétaux alimentaires cultivés simultanément ou en alternance réduite dans ces zones, ces plantes concentrent des éléments chimiques rares et toxiques ou se trouvent en carence de certains autres éléments (Dissanayake, 1999).
L’argile et la fleur
Conclusion
Les minéraux argileux présentent des propriétés qui interviennent tout au long de la croissance des plantes. Leur rôle dans les sols est essentiel pour la bonne stabilisation de leurs propriétés. Elles y assurent un rôle de répartition des éléments minéraux et de l’eau nécessaires à la croissance végétale. L’équilibre de la plupart des sols en dépend donc celui des plantes qui s’y développent.
Au-delà de la croissance de la plante, l’argile se retrouve au sein de techniques chimiques d’extraction des principes actifs. Leur rôle se justifie par leurs propriétés physicochimiques et par leurs propriétés catalytiques.
Au titre de matériaux transformables elles permettent de réaliser de nombreux produits manufacturés permettant d’exploiter les riches propriétés des huiles essentielles et des molécules odorifères (flacons, diffuseurs, fixateurs).
Si ces matériaux sont omniprésents dans le parcours vital de la plante, on les retrouve également dans la plupart des produits dérivés utilisés en cosmétologie grâce à leur origine naturelle mais aussi grâce à leur aptitude à former des gels et des pâtes.
La phytothérapie, application des plantes dans le domaine médical, utilise couramment les huiles essentielles adjointes à l’argile. Cet ensemble constitue un moyen thérapeutique naturel très efficace. Une présentation d’applications cliniques actuelles sera faite dans la seconde partie de cet exposé. L’essentiel des propriétés des argiles, lors de leur application thérapeutique, réside dans leurs petites dimensions et dans leurs propriétés de sorption et d’échange (dont les grandes lignes ont été précisées ci-dessus).
Notes
(1) Les argiles contiennent de l’eau ou des hydroxyles dans leur structure : il est important de souligner la présence de l’eau en les nommant “phyllosilicates hydratés”.
(2) Groupe français des argiles (GFA) : http://www.gfa.asso.fr/
(3) Consulter L’ouvrage “Argile et santé” chapitre 1, référencé en bibliographie.
Bibliographie
– Caillère S, Hénin S, 1963. Minéralogie des argiles, 1re édition, Masson, Paris.
– Caillère S, Hénin S, Rautureau M, 1982. Minéralogie des argiles, 2e éd., 2 tomes, Masson, Paris.
– Carretero I, Pozo M., 2007, Mineralogía Aplicada, Thomson ed., Madrid.
– Dissanayake C.B, Chandrajith Rohana, 1999, Medical geochemistry of tropical environments, Earth Sciences reviews, 47, 219-258.
– Dissanayake C.B, Chandrajith Rohana, 2009, Introduction to medical geology, Lavoisier ed.
– Handbook of clay science, Collectif : Bergaya F., BKG Theng, G. Lagaly et al., 2006, Elsevier ed.
– Hénin S (1960). Le profil cultural, SEIA, Paris.
– Millot G (1964). Géologie des argiles, Masson, Paris.
– Rautureau M. et al., 2010, Argiles et santé, Lavoisier éd.