La plante médicinale au service d’une médecine personnalisée
Paru dans « Mutualistes » n°387, avril-mai-juin, le journal de la mutuelle des Pays de Vilaine.
Le docteur Jean-Claude Lapraz, généraliste, Président de la SIMEPI, développe depuis plus de quarante ans une approche de la médecine, baptisée endobiogénie, qui remet le malade au centre de la pratique médicale. Il nous explique comment, dans ce type de stratégie thérapeutique, les plantes médicinales peuvent tenir une place majeure.
Nous assistons depuis quelques années à une remise en cause profonde des médicaments modernes dont l’usage se révèle de plus en plus dangereux. Et, fait nouveau, de célèbres professeurs de médecine, comme les docteurs Debré et Even, clament dans la presse grand public leur indignation face à l’usage inconsidéré et généralisé des molécules de synthèse, dont ils dénoncent non seulement les dangers, mais aussi l’inutilité pour nombre d’entre elles. Cette remise en cause est d’autant plus courageuse et questionnante qu’ils ont eux-mêmes prescrits quotidiennement ces molécules pendant toute la durée de leur longue carrière hospitalière médicale et chirurgicale.
Si leur prise de position publique est positive en ce qu’elle attire l’attention sur la nécessité de redéfinir une politique du médicament, elle n’en reste pas moins stérile en ce qu’elle ne propose aucune solution de rechange qui permettrait d’offrir une alternative aux patients plongés dans le désarroi et déroutés face aux dangers rapportés. Or, en tant que médecin exerçant la médecine générale en pratique privée et hospitalière depuis plus de quarante
ans, et président d’une fédération internationale regroupant des médecins de plusieurs pays, nous pouvons affirmer qu’il est possible de proposer une solution raisonnable et déjà éprouvée. Encore faut-il que ces médecins soient entendus par les pouvoirs publics, ce qui dans notre pays n’est pas une mince gageure…
Repenser l’usage du médicament
La nécessité de repenser de façon radicale l’usage du médicament impose celle de reconsidérer sur quels fondements scientifiques repose cet usage. En réalité, la crise du médicament est beaucoup plus profonde qu’il ne paraît, car elle s’inscrit dans la logique de la façon dont la médecine s’est constituée en tant que science du vivant.
Confrontés à la complexité de l’organisme humain, les chercheurs se sont engagés dans une voie de simplification en le faisant éclater en multiples organes et fonctions, à la recherche de la structure la plus élémentaire
(jusqu’au gène) considérée comme la cause de la maladie. Cette cause identifiée, il suffisait de trouver le médicament ciblant sur cette anomalie pour que la guérison soit acquise. En quelque sorte, nous pourrions dire que la fonction du médicament moderne s’adapte de façon très étroite à ce que l’on attend de lui : un effet ponctuel “salvateur” sur une petite partie “malade” d’un ensemble infiniment complexe que constitue le corps humain.
Or, cette vision parcellaire de la réalité bute sur ses limites que tous s’accordent à reconnaître aujourd’hui et dont les malades souffrent dans leur état quotidien, étant confrontés aux échecs, aux récidives, aux pathologies induites et aux complications, conséquences autant d’une appréhension partielle de leur cas que de l’utilisation de produits puissants mal adaptés à la physiologie de leur organisme.
C’est pour répondre à ces constats que notre groupe de médecins propose une vision intégrative de la physiologie du vivant, qui prenne en compte les liens unissant les organes aux fonctions et à la globalité de l’organisme et qui permette la réalisation d’une médecine réellement personnalisée.
Considérer le patient dans sa globalité
Cette approche, l’endobiogénie, se situe au coeur de la médecine elle-même. Elle définit une nouvelle compréhension des signes présentés par le patient, un examen clinique qui soit intégré et non dissocié de l’ensemble de son organisme, une compréhension élargie des résultats des examens biologiques, une stratégie thérapeutique qui soit repensée et adaptée à une vision plus physiologique du patient, où sa partie malade est réintégrée dans le tout.
Dans cette approche intégrative, et parce qu’elles respectent mieux la physiologie de l’individu, les plantes médicinales retrouvent une place majeure, alors qu’elles avaient été jugées moins actives et fiables que le médicament de synthèse auquel elles avaient donné naissance. Négligées par la médecine qui s’est totalement dédiée au monde du tout-synthétique, elles ne sont plus considérées par elle que comme un reliquat archaïque d’un savoir ancestral dépassé. Et pourtant, au cours des quarante dernières années, d’importants travaux ont été effectués par des médecins cliniciens de divers pays. Ils ont permis de montrer qu’à la condition qu’elles soient utilisées selon des règles très précises les plantes médicinales se présentent comme un moyen de base incontournable tant pour traiter les patients que pour permettre la mise en place d’une vraie médecine préventive.
Cette approche nouvelle – dénommée phytothérapie clinique – impose que les données de la tradition soient passées au crible des connaissances scientifiques actuelles et ainsi validées ou invalidées. Elle impose aussi que les effets des produits phytothérapiques soient ensuite confirmés par l’observation clinique attentive du patient. Seul un raisonnement médical permet en effet d’établir un diagnostic précis, puis de définir une stratégie thérapeutique qui ne se limite pas au traitement des seuls symptômes, mais qui prenne en compte l’état de l’organisme entier de la personne. Sans le respect de ces points, il ne saurait y avoir de réel suivi à même de valider la réalité des effets produits, que ces effets soient positifs ou négatifs.
Limiter le recours aux produits de synthèse A la condition qu’elles soient correctement utilisées au terme d’un diagnostic bien posé, les plantes médicinales peuvent alors répondre à une prise en charge efficace de plus de 80 % des maladies du quotidien, limitant ainsi le recours à des produits de synthèse de plus en plus coûteux et bien souvent inducteurs d’autres pathologies (maladies dites iatrogènes).
Elles permettent aussi d’aider l’organisme du patient à mieux supporter les effets négatifs des traitements lourds, lorsque ceux-ci s’imposent, à diminuer leur durée de prescription et à récupérer plus vite un meilleur état.
Quelle place alors pour les médicaments de synthèse ? Ceux-ci restent essentiellement appropriés aux cas aigus, lorsque le pronostic vital est en jeu et que l’organisme n’est plus capable de faire face par lui-même à l’intensité de l’agression que représente pour lui la maladie. Et leur usage doit être strictement limité à leurs seules indications justifiées dans un cadre nosologique précis, et non généralisé d’une façon standardisée qui ne tienne pas compte de la spécificité de chaque individu.
Devant l’incapacité des systèmes d’assurance maladie à faire face à l’explosion des dépenses, une nouvelle politique de santé qui replacerait la plante médicinale au coeur du système de soins se présente comme l’une des solutions positives à mettre en place sans délai : l’enjeu est considérable, tant sur le plan de la santé individuelle que sur celui de la santé collective, mais qui en aura le courage ?
Dr Jean-Claude Lapraz
Notes :
Le docteur Jean-Claude Lapraz est co-auteur, avec Marie Laure de Clermont-Tonnerre, du livre : “La médecine personnalisée : retrouver et garder la santé“ – paru aux éditions Odile Jacob (352 pages, 22,20 euros).