Histoire d’un J ou quand la pression artérielle la plus basse n’est pas toujours la meilleure
Par les Drs J.CL Lapraz, A. Carillon et J. Liagre
Dans le traitement de l’hypertension artérielle l’adage « the lower the better » a toujours prévalu. Aujourd’hui plusieurs études alertent sur les conséquences négatives de cet adage et sur les attitudes thérapeutiques qui en ont découlées. Un simple raisonnement endobiogénique intégrant la variabilité tensionnelle et sa finalité physiologique dans la réactivité spécifique du patient permet non seulement de comprendre cette « surprise » mais de la prévoir.
A notre époque de médecine normative, quelques articles parus dans la presse médicale et faisant la synthèse de certaines études récentes viennent bousculer les recommandations de la prise en charge du patient hypertendu : « Hypertension artérielle et risque cardiovasculaire : l’hypothèse de la courbe en J »(1), ou « Hypertendus à haut risque : jusqu’où abaisser les chiffres tensionnels »(2).
De très nombreuses études ont mis en évidence une réduction du risque cardiovasculaire proportionnelle à la baisse des chiffres tensionnels, sous traitement antihypertenseur.
La gravité de l’hypertension artérielle (HTA), que l’on qualifie de « maladie silencieuse », repose sur sa grande prévalence, son contrôle médiocre dans plus de la moitié des cas et son association plus fréquente aux autres facteurs de risques cardiovasculaires. Elle est un des éléments le plus fréquent du syndrome métabolique, et constitue elle-même un facteur de risque.
Le traitement antihypertenseur réduit significativement la mortalité globale, la morbidité cardiovasculaire et la mortalité par accident vasculaire cérébral (AVC). Le traitement de l’HTA présente également un effet préventif dans la survenue des troubles cognitifs.
Ce concept : « the lower is better » déjà admis lors de la prescription de traitement hypolipémiant a été utilisé dans le cadre de l’HTA à la suite de l’étude HOT(3).
Depuis, les recommandations actuelles sont donc des objectifs tensionnels stricts, inferieurs à 130/80 mm Hg chez les patients cardiovasculaires, diabétiques, insuffisant rénaux ou en prévention secondaire, et le dogme « the lower is better » prévaut.
Problématique
Mais plusieurs études(4, 5, 6, 7) alertent sur l’existence d’un seuil tensionnel en dessous duquel apparaît un risque coronarien ! Et c’est là qu’intervient le concept de la courbe en J(8) : le risque coronarien associé à la tension artérielle serait majoré pour des chiffres tensionnels élevés, mais également pour des chiffres tensionnels trop bas.
Il y a déjà plus de 30 ans, une étude(5) mettait déjà en garde contre une diminution trop agressive de la tension artérielle, et plus particulièrement de la composante diastolique sur le risque coronarien.
En 2006, une grande étude prospective(6), sur plus de 22 000 sujets, hypertendus coronariens mettait en évidence :
- un doublement du risque cardiovasculaire pour une pression artérielle diastolique (PAD) inférieure à 70 mm Hg,
- et un quadruplement du risque pour une PAD inférieure à 60 mm Hg.
Les auteurs de ces articles s’interrogent sur la majoration « paradoxale » du risque de morbi-mortalité pour les événements cardiaques lors de la baisse tensionnelle diastolique qui reste, selon eux à des valeurs dites « physiologiques ».
D’autre part l’existence d’une courbe en J pour différentes mesures de la PAD concernant les risques d’AVC ressortirait des études peu nombreuses sur ce thème, mais de manière peu significative. Une augmentation (non significative) des décès à été mise en évidence pour les plus bas niveaux tensionnels.
De nombreux mécanismes physiopathologiques ont été proposés pour expliquer ce paradoxe : les comorbidités, la PAD basse reflet d’une insuffisance cardiaque, l’augmentation de la pression pulsée. Le mécanisme le plus étayé est le fait que les coronaires sont principalement perfusées durant la diastole, et en dessous d’un certain seuil tensionnel, la vascularisation des myocytes est altérée, favorisant l’ischémie myocardique.
Ces articles concluent que le dogme du « the lower the better » n’est plus d’actualité. Une attitude prudente quant à la baisse tensionnelle devrait être adoptée, en particulier chez les sujets fragiles, âgés, avec des comorbidités (notamment diabète) ou ayant une maladie cardiovasculaire évoluée.
Analyse endobiogénique de cette problématique
L’approche médicale actuelle, médecine par les preuves, établit à partir de méta et/ou multi analyses, des normes et des standards thérapeutiques, des « références ». Puis d’autres méta-analyses peuvent venir remettre en cause telle ou telle attitude thérapeutique, comme c’est le cas ici. On proposera ensuite des hypothèses physiopathologiques permettant d’expliquer ces discordances.
Ce cheminement nous paraît :
- aller à l’inverse du bon sens ! En effet, il faudrait partir d’une analyse stricte et fine de la physiologie, donc de l’état de santé, mettre en évidence les éléments régulateurs concernés par le maintien de cet état d’équilibre, et leurs dysfonctions éventuelles à l’origine des déséquilibres physiopathologiques inducteurs de la maladie
- ne pas tenir compte des règles mathématiques et statistiques permettant d’établir des fourchettes de normalité (courbe de Gauss) : que penser des sujets normaux se situant dans les zones périphériques ?
- ne pas tenir compte des simples variabilités physiologiques traduisant tout simplement la fonctionnalité adaptative du sujet. Cette notion est ignorée, car elle rend difficile l’inclusion, à l’intérieur de ses fourchettes, des constantes (!) biologiques par nature … variables.
Quelle est, pour l’endobiogénie, la finalité de la pression artérielle ?
Références
1. Propos Biopharma n° 128 de 2011
2. Quotidien du Médecin n° 9070 – 23-01-2012
3. Hansson L. et coll. Lancet 1998 ;351 : 1755-62
4. Denardo SJ et coll. Hypertension 2009 ;53(4) :624-30
5. Stewart IM .Relation of reduction in pressure to first myocardial infarction in patients receiving treatment for severe hypertension Lancet. 1979, 1,861-865
6. Messerli FH, Mancia G, Conti CR, et al Dogma Disputed : An Aggressively lowering blood pressure in hypertensive patients with coronary artery disease be dangerous ?
7. Ann Intern Med 2006,144 : 884-893
8. Cruickshank JM,Thorp JM, Zacharias FJ. Benefits and potential harm of lowering high blood pressure Lancet .1987,1,581-584
9. Fagard RH, Staessen JA, Thijs L et al. On-treatment diastolic blood pressure and prognosis in systolic hypertension. Arch. Intern. Med.2007, 167 :1884-1891