Endobiogénie et aromathérapie
Cet article est la traduction en Français de l’article « Endobiogeny and aromatherapy » de Jean-Claude Lapraz, MD, Kamyar M. Hedayat, MD, Dan Kenner, PhD, Lac, paru dans l’International Journal of Professional Holistic Aromatherapy, Vol.2 Numéro I, été 2013
Traduction par Brigitte Lapeyronnie Robine
Introduction
L’aromathérapie clinique offre de nombreux avantages dans le soin apporté aux patients, comme la possibilité de dosages moindres ou encore la multiplicité des voies d’administration comme l’inhalation, l’application topique, la voie orale ou rectale. L’aromathérapie clinique contemporaine peut être retracée depuis le travail empirique du Dr Jean Valnet jusqu’au travail scientifique de ses élèves, entre-autres Christian Duraffourd, MD et Jean-Claude Lapraz, MD.
L’aromathérapie clinique peut amener un soulagement très satisfaisant à de nombreux patients, mais la grande majorité de la littérature à ce jour s’est centrée presque exclusivement sur le traitement symptomatique (Buckle, 1999 ; Hedayat, 2008 ; Hueberger et coll. 2004 et 2006 ; Tildesley et coll. 2003 et 2005 ; Lin et coll. 2007 ; Goel et coll. 2005 ; Haze et coll. 2002). Pour que l’aromathérapie clinique puisse évoluer vers une méthodologie précise, on a besoin d‘une approche systématique afin d’évaluer la maladie d’un patient dans son ensemble. La méthode endobiogénique développée par les Drs Duraffourd et Lapraz durant les 40 dernières années, présente une telle approche. Le travail à l’origine a porté sur les huiles essentielles, et les huiles essentielles tiennent encore aujourd’hui un rôle important dans cette méthode (Duraffourd et Lapraz, 2002).
Endobiogénie
L’endobiogénie est un système d’approche de la pratique clinique qui prend en compte le système global du corps : les organes pris individuellement, leur activité cellulaire et métabolique à l’intérieur d’eux-mêmes et de leur part, tout comme les relations entre eux et vis-à-vis du fonctionnement global de la personne. Elle est solidement enracinée dans la recherche scientifique moderne en endocrinologie physiologique et pathologique (Lapraz et Hedayat, 2013). L’endobiogénie est l’étude intégrative des mécanismes structurels de régulation du corps humain lors de l’homéostasie tout comme lors de sa réponse fonctionnelle à des stress internes et externes, comme les infections pathogènes ou le stress émotionnel.
La méthode endobiogénique évalue l’état qualitatif et quantitatif du corps et de son milieu interne : le « terrain » biologique dans lequel le corps fonctionne. La stratégie du traitement endobiogénique est de rétablir le terrain de la constitution de la personne, antérieur à la maladie. Quand cela n’est pas possible, nous cherchons alors à soutenir la capacité d’amortissement et à aider l’organisme à atteindre le niveau le plus haut de fonctionnement d’homéostasie. La capacité d’amortissement correspond au mécanisme adaptatif auquel le corps doit faire face lorsque des besoins soudains lui sont soumis. Par exemple, le corps stocke du bicarbonate et peut faire face rapidement à une certaine acidité développée de cette façon. Un autre exemple, c’est que 98% de la plupart de nos hormones sont liées et non utilisées, restant en arrière-plan, liées à des protéines de transport. Cependant, lors de périodes de grand besoin physiologique, ces hormones (comme la T3) peuvent être rapidement relâchées. Les symptômes de toute maladie sont toujours envisagés à la lumière du fonctionnement global de l’organisme dans sa totalité.
La méthode endobiogénique comprend trois axes. Le premier considère l’histoire détaillée, qui commence avec l’histoire prénatale, les caractéristiques de l’enfance, l’histoire familiale, les facteurs héréditaires, etc. Une ligne de vie est créée qui cartographie les traumas physiques et psychiques importants et qui sont alors reliés à l’apparition et à la progression des différents symptômes.
Le deuxième axe, c’est l’examen physique détaillé. L’examen endobiogénique est assez complet et singulier à plusieurs titres. Il se fonde sur l’observation du fait que certaines relations neurologiques et endocriniennes peuvent être vues et palpées sur le corps humain. Par exemple, on sait que la dopamine affecte la rapidité du clignement spontané des yeux (Karson, 1989). Un patient qui se plaint d’angoisse et qui cligne beaucoup des yeux a une dopamine élevée. Une huile essentielle qui a des propriétés neuro-physiologique de dissociation, comme le Ylang-Ylang (Cananga odorata) peut être indiquée pour un tel patient. (Un agent de dissociation neuro-physiologique est un agent qui accroît l’activité mentale tout en réduisant les signes de stress physiologiques, comme la pression artérielle et la fréquence cardiaque). Des études cliniques récentes ont montré que l’inhalation et les applications cutanées de Ylang-Ylang augmentent un état calme (ondes alpha) tout en réduisant la pression artérielle. (Hongratanaworakit et Buchbauer, 2004 et 2006). Un autre exemple, le cortisol occasionne un coussinet adipeux sur l’os zygomatique, parmi d’autres endroits. Un patient qui présente des symptômes de stress et de fatigue et qui a ce coussinet adipeux peut bénéficier d’une équilibration neuro-endocrinienne, avec un produit qui soutienne l’activité surrénalienne tout en réduisant le système nerveux central et la stimulation hormonale de la glande surrénale. La sauge sclarée (Salvia Sclarea) est un bon exemple d’huile essentielle adaptée au terrain d’une telle personne (Park et Lee, 2004).
Le troisième axe de l’approche endobiogénique, c’est le système de modélisation biologique, la Biologie des Fonctions. La Biologie des Fonctions est un outil de modélisation biologique qui relie les biomarqueurs du sérum à des ratios et des produits directs et indirects. Cela permet une évaluation à la fois qualitative et quantitative du terrain du patient et peut améliorer grandement le traitement qu’offre le clinicien des causes réelles de la maladie du patient. Du fait de la nature mathématique de ces index, l’état du patient peut être évalué objectivement au cours du temps (Lapraz et Hedayat, 2013).
Avec une bonne évaluation du terrain, le praticien en endobiogénie est capable d’appliquer un schéma phytothérapeutique rationnel. Nous croyons que l’utilisation de plantes médicinales et de leurs divers extraits – y compris les huiles essentielles- est la méthode la plus efficace pour réguler les déséquilibres. Cependant, la méthode endobiogénique peut aussi utiliser d’autres traitements, y compris l’utilisation de produits pharmaceutiques lorsqu’ils sont indiqués par la sévérité de la maladie et/ou par l’insuffisance des capacités d’amortissement du patient.
Les principes de base
Ne pas nuire : c’est le mot d’ordre de tout système de traitement, y compris de l’endobiogénie. Le type de traitement choisi, la voie d’administration et la posologie dépendent tous de la sévérité de la maladie, des comorbidités et de l’état global du terrain du patient.
Le traitement symptomatique : les symptômes ne sont jamais ignorés et parfois nécessitent une attention urgente sur tout autre considération. Cependant, une fois qu’on s’est occupé des symptômes urgents, les facteurs fondamentaux du terrain devront de même être envisagés.
Corriger le terrain : C’est un élément thérapeutique clé dans le traitement de toute maladie chronique et pour prévenir les récidives des troubles aigus. Le terrain est l’expression fonctionnelle de l’héritage génétique. C’est un jeu dynamique et continu entre les éléments structurels et fonctionnels du corps, les capacités de base et adaptatives et le fonctionnement, et les éléments inducteurs et réactifs contre les agressions internes et externes. Le concept important dans la correction du terrain c’est celui d’assurer un drainage approprié des émonctoires.
Drainage : Les émonctoires selon le concept endobiogénique comportent tous les organes qui excrètent. Les émonctoires servent à de nombreux buts, comme aider à la digestion, à la détoxification et à la production de vitamines. Parmi les émonctoires, les plus fondamentaux pour une activité physique appropriée sont le foie, le pancréas et la vésicule biliaire du fait de leur lien au métabolisme. Parmi les voies de drainage, la voie lymphatique joue aussi un rôle important.
Quand un organe est débordé, il peut faire l’expérience d’une congestion toxique par accumulation de produits de déchets métaboliques. Une activité alpha-sympathique élevée peut entraîner une congestion vasculaire des organes. Dans tous les cas, il y a une fonctionnalité atténuée de l’organe due à la congestion (Duraffourd et Lapraz, 2002).
Le processus de drainage est appliqué stratégiquement aux systèmes organiques affectés. Par exemple, quand il y a une maladie fréquente des voies respiratoires, le pancréas est impliqué au niveau général et les ganglions lymphatiques sont impliqués à un niveau loco-régional. Dans ce type de maladie, les ganglions lymphatiques cervicaux peuvent être drainés afin que le système immunitaire fonctionne bien et le pancréas devrait être drainé afin de permettre au terrain qui a conduit à une telle maladie d’être corrigé. Le drainage du foie et des voies biliaires est essentiel lors de nombreux états, surtout quand il y a un besoin accru d’oestrogènes ou d’hormones thyroïdiennes en réponse à des demandes métaboliques du corps. Les drainages des reins, du pancréas, du gros intestin et de la peau peuvent tous intervenir dans le plan thérapeutique.
Les émonctoires et les huiles essentielles : La méthode endobiogénique utilise les formes galéniques les plus efficaces, comme les formes naturelles plutôt que des composants synthétiques, pour aborder différentes maladies. En plus de l’utilisation de la gemmothérapie et de teintures mères, nous avons trouvé que les huiles essentielles peuvent être efficaces pour le drainage. Notez que beaucoup d’huiles essentielles qui sont efficaces pour le drainage le sont aussi pour traiter les troubles infectieux et non infectieux des organes qu’ils drainent. Cela confirme à nouveau la complexité des éléments phytothérapeutiques tout comme leur grande efficacité dans le traitement simultané du terrain et des symptômes. Ci-dessous sont listés les principaux émonctoires et les huiles essentielles qui, selon notre expérience, sont efficaces pour le drainage.
Foie : Sauge officinale (Salvia officinalis) (Lima et coll., 2004), Carotte (Daucus carota), Marjolaine (Origanum Majorana) (el-Ashmawy et coll., 2005) et Nigelle, huile pressée (Nigella sativa) (Lee et coll., 2003).
Pancréas : Cannelle écorce et feuille (Cinnamomum Zeylanicum) (Talpur et coll., 2005), Origan commun (Origanum vulgare) (Talpur et coll., 2005), Romarin (Rosmarinus officinalis) (al-Hader et coll., 1994), Eucalyptus (Eucalyptus globulus, Eucalyptus radiata), Geranium Herbe à Robert (Perlagonium robertum), Genévrier (Juniperus Communis).
Vésicule biliaire : Romarin (Rosmarinus officinalis), Menthe poivrée (Mentha Piperita) (Goerg et Spilmer, 2003), Carvi (Carum Carvi) (Goerg et Spilker, 2003).
Reins : Genévrier (Juniperus Communis) (Stanic et coll., 1998 ; Ripka, 1964), Lavande (Lavandula Angustifolia), Angélique (Angelica Archangelica) (Starker et Nahar, 2004), Bouleau (Betula Pubescens), Romarin (Rosmarinus officinalis), Fenouil (Foeniculum Vulgare).
Lymphatique : Laurier noble (Laurus Nobilis), Cyprès (Cupressus Sempervirens), Genévrier (Juniperus communis).
Approche endobiogénique du terrain et les effets antimicrobiens des huiles essentielles.
Le travail d’un des auteurs (JCL) avec C. Duraffourd, MD, dans les années 1970-1980, concernant les effets antimicrobiens des huiles essentielles, a produit d’importantes observations sur l’importance du terrain en déterminant quelles sont les huiles essentielles à utiliser pour traiter tel patient (Duraffourd et Lapraz, 2002). Ils ont développé un aromatogramme en utilisant des disques imprégnés d’huiles essentielles pour évaluer l’efficacité de différentes huiles essentielles et de leurs chémotypes vis-à-vis de différentes bactéries, qu’elles soient gram plus ou gram moins.
De ces études, ils ont conclu deux points clé. D’abord, l’activité antimicrobienne de l’huile essentielle provient du jeu en synergie de tous ses composants en totalité et de ses interactions avec le terrain du patient. Le deuxième point, la catégorisation des huiles essentielles en « douces » ou « fortes » en usage interne, fondée sur la concentration de groupes fonctionnels et de leurs effets topiques, est une notion erronée. Ils ont comparé les effets du géraniol et de deux huiles essentielles qui contiennent du géraniol : le Thym (Thymus Vulgaris ct. géraniol) et le Géranium Rosat (Pelargonum asperum) ayant une forte concentration de géraniol qui n’est pas typiquement trouvée.
Tableau 1. Activité antimicrobienne du géraniol en tant que composant isolé versus les chémotypes de géraniol du Thym et du Géranium.
Alors que le géraniol à 100% a eu une efficacité modérée contre un large spectre de germes gram – et gram +, le thym, avec son contenu plus faible en géraniol a eu plus d’activité contre les germes gram – que le géraniol pur ou que l’huile essentielle de Géranium, tous deux ayant des contenus en géraniol plus forts. Ainsi, un composé particulier n’explique pas suffisamment à lui seul l’activité antimicrobienne des huiles essentielles.
Au départ, quand nous avons souhaité traiter les maladies infectieuses de nos patients, nous avons d’abord voulu déterminer l’huile essentielle optimale de l’aromatogramme. Une fois que nous avons établi les huiles essentielles appropriées pour traiter les infections de nos patients, nous avons trouvé que la dose nécessaire pour arriver efficacement à soulager l’infection a été plus basse que prévue par le Concentrations Minimales inhibitrices (MIC) déterminé par nos études in vitro. Par exemple, nous avons trouvé que, in vivo, la concentration minimale inhibitrice pour un adulte typique, est de 1×10-4 g d’huile essentielle par ml de fluide corporel. Faisons l’hypothèse qu’un patient reçoive une goutte standard US d’huile essentielle par dose soit 0,05g. En diluant cela dans 40 litres d’eau corporelle totale, la concentration d’une dose unique d’huile essentielle serait de 1.25 x 10-5g/ml de fluide, bien en dessous du MIC. L’activité antimicrobienne in vivo survient du fait d’un changement dans le terrain grâce au drainage, à la détoxification et aux modifications neuro-endocriniennes.
En conséquence, nous avons tous abandonné cette méthode pour une approche selon laquelle, parmi les centaines d’huiles essentielles à activité antimicrobienne appropriée, nous avons choisi les huiles essentielles les plus adaptées au terrain endobiogénique du patient. Finalement, nous avons conclu que l’activité antimicrobienne des huiles essentielles ne se fonde pas seulement sur ses actions in vitro, mais aussi sur le terrain que cela soit par immunomodulation, drainage, ou par l’activité neuroendocrine ou génétique. Les doses sont trop basses pour être directement antimicrobienne sauf dans les cas d’application topique directe d’huiles essentielles sur une peau infectée ou dans les cas d’absorption transdermique pour infections intra-articulaires. Quand nous utilisons des huiles essentielles pour traiter des infections, nous trouvons que la combinaison d’huiles essentielles les moins toxiques, en usage interne à intervalles réguliers est l’approche thérapeutique la plus efficace.
Les chémotypes peuvent être utiles pour des cas particuliers, comme des sensibilités anatomiques locales singulières à un patient. Par exemple, on pourrait souhaiter utiliser du Thym vulgaire (Thymus Vulgaris) à linalol pour un jeune enfant afin d’éviter les effets muco-irritants de concentrations fortes en thymol. Cependant un choix rationnel endobiogénique d’huile essentielle conduit typiquement à une dose relativement basse et suffisamment diluée pour que cela ne soit probablement pas irritant pour la muqueuse. De toutes façons, on devrait éviter le penchant pour « l’aromachimie », qui n’est qu’une autre forme de pensée réductionniste. L’aromachimie a pour tendance d’attribuer les effets globaux des huiles essentielles « seulement » à leur contenu chimique (Schnaubelt, 1999) sans considérer leur impact sur le terrain de l’individu. Quand on traite des patients par voie interne et en considérant le terrain, le chémotype particulier de l’huile essentielle n’est pas aussi important que le fait d’accorder les effets globaux des huiles essentielles à ce patient particulier.
Considérons un patient ayant une infection sévère, aigue avec une réponse alpha sympathique élevée (mains et pieds froids, rythme respiratoire élevé, pupilles dilatées, appétit diminué). Nous avons trouvé que l’huile essentielle de Lavande, qui est considérée comme une huile essentielle « douce » du fait de ses groupes fonctionnels avec beaucoup d’alcool, est plus efficace quand elle est utilisée par voie interne pour ce type de patient qu’une huile essentielle riche en phénols comme la sarriette (Satureja Montana). La sarriette avec ses propriétés sympathomimétiques, peut exacerber l’activité alpha-sympathique élevée d’un tel patient et conduire à un état hyper-catabolique.
Dans le cas d’une infection, le système immunitaire du corps est stimulé par le système nerveux autonome et géré par le système endocrinien. Le système immunitaire est en fin de compte ce qui gère l’infection. L’utilisation par voie interne d’huiles essentielles est si diluée que ses effets antimicrobiens n’entrent pas en jeu. C’est l’effet des huiles essentielles sur le terrain, c’est-à-dire sur le drainage des émonctoires, la facilitation de l’activité neuro-endocrinienne et la stimulation de l’activité immunitaire qui gère réellement l’infection.
Conclusion
L’endobiogénie est une forme de médecine fondée sur les systèmes et développée depuis les 40 dernières années par les Drs Duraffourd et Lapraz. C’est une vraie forme de médecine intégrative en ce sens qu’elle intègre les différents éléments du terrain du patient d’une manière cohérente qui respecte la globalité de l’être humain. L’approche thérapeutique du traitement est une approche rationnelle fondée sur l’évaluation propre du terrain endobiogénique de chaque individu. Elle comprend de nombreuses formes de traitements, y compris les huiles essentielles, fondées sur de nombreuses considérations comme la sévérité de la maladie, l’intégrité et la force d’amortissement endogène et des systèmes tampons, et la possibilité de guérison spontanée en utilisant des traitements naturels vs synthétiques. Ceux qui ont développé les traitements endobiogéniques ont un long passé d’utilisation des huiles essentielles et ont contribué par leur travail à préciser une méthodologie pour leur sélection et leur application dans différentes maladies.