Conférence : Les plantes de la racine à la fleur, le rôle des argiles – 1er avril 2011
Par Michel Ratureau – docteur d’Etat ès Sciences Physiques, membre du GFA (Grasse – Symposium international d’aromathérapie et de plantes médicinales)
Minéraux microcristallisés, les argiles ont des propriétés qui les rapprochent des modernes nanomatériaux et nombreuses d’entre elles restent encore à exploiter. Cette conférence présente les caractéristiques des différentes familles d’argiles afin de les relier à leurs applications.
Les argiles possèdent des propriétés qui ont permis de leur associer, entre autres, des huiles essentielles permettant ainsi de les employer dans un domaine pharmaceutique très utile dans le cadre des produits d’extraction naturels. Cette association se prolonge dans le domaine thérapeutique et clinique dans des domaines très variés allant de l’épidémiologie à des pathologies non communicatives.
Les plantes de la racine à la fleur, le rôle des argiles
Introduction
Les végétaux ont depuis toujours cohabités auprès et avec le monde animal. Pour un grand nombre de végétaux le sol est leur support naturel. Il apporte aux plantes, pour leur croissance, l’essentiel de leurs besoins en éléments chimiques complétés par des échanges gazeux et liquides avec l’atmosphère. Certains de ces échanges conduisent à la formation de molécules intéressantes pour l’exploitation artisanale ou industrielle des principes actifs qu’elles comportent. Ainsi, par extraction à partir de certaines parties de la plante on recueille, entre autres, des molécules huileuses et odorifères mais aussi des molécules à usage alimentaires ou thérapeutique. Un domaine plus récent consiste à utiliser la plante pour le piégeage d’éléments chimiques ou de molécules, soit au niveau du sol soit dans l’atmosphère. Par exemple, on peut ainsi capter des éléments chimiques indésirables, des complexes ou des molécules toxiques telles que les pesticides introduites dans le sol ou encore, utiliser la plante comme piège pour le gaz carbonique par exemple. La plante dans son environnement assure donc des transferts dans les deux sens.
La dépendance de la plante au sol et à l’atmosphère conditionne son bon développement et a une incidence immédiate sur la qualité et les propriétés des produits qui en sont extraits.
Dans notre exposé, nous aborderons plus particulièrement le sol et sa composition minéralogique avec une attention particulière pour une famille minérale essentielle : celle des minéraux argileux. Les argiles que l’on cite abondamment pour leurs très nombreuses utilisations sont, dans le monde minéral, des composés très particuliers, très difficiles à étudier mais toutefois essentiels et omniprésents à la fois dans le milieu naturel mais aussi dans le monde industriel à tous les niveaux. Leurs propriétés sont, pour la plupart, de natures physicochimiques et permettent au minéral de transporter de nombreux composés qui y sont fixés temporairement avant d’être utilisés par la plante.
Historiquement ces notions ont été précisées par Hénin en 1960, elles ont été largement développées depuis.
Pour obtenir à la fin d’un processus de fabrication une huile essentielle, produit de haute qualité, rare et recherché, il convient de prendre en compte toute la chaîne environnementale allant de la naissance de la plante à l’extraction des principes actifs qu’elle a développés à la fin de sa croissance, dans le but d’utilisations bien spécifiques. L’argile a une position capitale au niveau du sol où elle est un intermédiaire essentiel pour les éléments nutritifs de la plante. L’argile est tout aussi importante dans les processus d’extraction, de transformation et de fixation des huiles essentielles et pour la chimie fine.
Traiter de l’argile implique le plus souvent la prise en compte deux types de connaissances qui sont complémentaires. En premier des connaissances acquises de très longue date, empiriques et transmises par la tradition orale et le savoir faire résultant de l’expérience. En second, viennent des connaissances modernes, dont les approches sont scientifiques et proches des structures industrielles et commerciales.
Les plantes, quand à elles, sont totalement associées aux activités humaines depuis la nuit des temps. Si la qualité des plantes dépend essentiellement de leur espèce, elle dépend également des conditions environnementales : climatiques et pédologiques ; c’est ce dernier point que nous aborderons.
Le sol, lieu d’accueil et support de la plante
Définir un sol suppose la maîtrise, ou au moins la connaissance, d’un très grand nombre de paramètres dont l’étude est affectée à des disciplines très variées. Les pédologues assurent un lien interdisciplinaire entre un monde minéral et un monde biologique intimement associés dans un sol, l’intérêt des agronomes est plus marqué par le végétal lui-même.
Essentiellement un sol est constitué par la couche superficielle d’environ un mètre d’épaisseur où sont simultanément présentes des matières minérales et organiques ainsi que des organismes vivants primaires ou supérieurs. Soumis aux contraintes météorologiques, géomorphologiques et à une forte activité biologique, un sol est en perpétuel remaniement.
Ces perturbations sans cesse renouvelées sont à l’origine de la recherche permanente d’un état d’équilibre auquel participent l’ensemble des composants. Dans la recherche de cet équilibre le monde organique vivant est très actif mais il est nécessaire qu’un mécanisme temporisateur soit également présent. Celui-ci est surtout fourni par les composés minéraux les plus divisés, donc de tailles très petites, parmi ceux-ci les argiles qui se montrent très actives.
Nous utilisons dans la suite de notre exposé, soit le singulier pour désigner indistinctement les minéraux argileux dans leur ensemble, soit le pluriel pour définir un choix plus précis dans la détermination d’une famille ou d’une espèce particulière.
Pour comprendre le rôle des argiles, dans un sol ou dans leurs applications, il faut d’abord connaître leurs propriétés fondamentales.
Les propriétés les plus importantes des argiles
La structure des argiles
Les argiles sont des silicates de très petites dimensions (en général moins de 2 micromètres). Ils sont constitués de feuillets. Pour cette raison on les nomme d’une façon plus précise “phyllosilicates”(1) mais ils restent invisibles à l’œil nu. Les différentes argiles se distinguent par leurs compositions chimiques et par la distance séparant les feuillets généralement voisins de 0,7 nanomètre (famille de la kaolinite) et de 1 nanomètre (famille des smectites) avec quelques variantes. L’origine des argiles est aujourd’hui bien connue grâce aux travaux des minéralogistes (Caillère 1963, 1982) et des géologues (Millot 1964). Essentiellement, les argiles résultent de la dégradation des roches par l’eau. Leur structure cristalline qui assimile leur composition chimique contient des défauts qui résultent de leur genèse dans un milieu plus ou moins fortement perturbé. Ces défauts sont à l’origine de leurs très nombreuses propriétés physiques et physicochimiques ; celles-ci ont conduit à une multitude d’applications dans les domaines les plus variés.
Nous allons décrire ces structures et préciser la position et la nature des défauts qui sont à l’origine des propriétés afin d’introduire progressivement leur action sur les plantes et, in fine, sur la nature des produits que l’on en extrait.
La composition chimique
Ce sont des silicates contenant essentiellement de l’aluminium, du magnésium, du fer et parfois d’autres éléments en moindres quantités. Leur analyse chimique a été longue à comprendre car les minéraux argileux sont porteurs de nombreux défauts qui sont compensés par des ions venus de l’extérieur du minéral et qui se positionnent soit entre les feuillets soit sur les surfaces externes des particules. L’analyse, bien sûr, donne en premier résultat l’ensemble des deux. Il faut donc mener de pair diverses analyses et ce n’est qu’avec la pratique que l’on est en mesure d’établir une formule chimique pertinente. Celle-ci peut prendre diverses formes suivant l’objectif que s’est fixé l’utilisateur final. N’oublions pas que la plante qui pousse sur un sol y cherche des éléments nutritifs, elle capte d’abord ceux qui sont les plus mobiles : la plupart des ions compensateurs que nous venons de citer en font partie.
La texture des argiles
Les particules sont si petites que l’œil ne peut les distinguer. Ce sont les microscopes électroniques qui permettent de les observer. On constate grâce à eux qu’elles sont constituées par des empilements de feuillets organisés les uns par rapport aux autres sous forme de particules. Une série de trois techniques permet d’accéder à l’organisation des éléments chimiques du minéral dont dépendent toutes les propriétés et d’identifier la nature de l’argile.
Les propriétés particulières aux argiles
Les capacités du sol
Nous venons de présenter l’essentiel des propriétés des argiles montrant leur rôle dans l’hébergement de diverses molécules. Il est évident que cette réserve nutritive, potentielle et dynamique, ne peut être exploitée lors d’une démarche de production agricole sans un mécanisme de renouvellement. Dans un langage agronomique, c’est toute la régénération et l’équilibre des sols qui sont en cause ainsi que la technique des amendements.
Le monde moderne met les sols en état de souffrance par une surexploitation. A cette situation d’ordre anthropique s’ajoute actuellement une évolution climatique objet de nombreuses interrogations. Les scientifiques de toutes spécialités se penchent sur les différents aspects du problème avec des résultats souvent positifs parfois coûteux et demandant aux différents acteurs un consensus difficile à obtenir pour les mettre en place. Les sanctions sont d’ordres naturels, malheureusement trop souvent irréversibles.
L’enjeu est déjà visible dans certaines régions européennes dont l’exploitation agricole de type industrielle, beaucoup trop intensive, a conduit de façon quasi-irréversible à une dégradation des sols naturels que les média caractérisent déjà de désertification. Ce résultat provient d’un lessivage intense du sol et d’amendements inadaptés qui en ont modifié la composition minéralogique ainsi que son équilibre de façon irréversible. Les exploitants, déconcertés, laissent ensuite le plus souvent les terres à l’abandon, elles n’ont alors plus la capacité de se régénérer spontanément. Il s’agit là d’un problème de société dont la maîtrise ne peut être que politique et scientifique puisque la raison n’a pas pu prévaloir.
Un domaine inquiétant de déséquilibre du sol en région de monoculture intensive et irriguée consiste dans la surconcentration d’éléments chimiques rares, non utilisés par les plantes. De graves troubles sanitaires peuvent en résulter pour les hommes et les animaux qui se nourrissent des végétaux alimentaires cultivés simultanément ou en alternance réduite dans ces zones, ces plantes concentrent des éléments chimiques rares et toxiques ou se trouvent en carence de certains autres éléments (Dissanayake, 1999).
L’argile et la fleur
Conclusion
Les minéraux argileux présentent des propriétés qui interviennent tout au long de la croissance des plantes. Leur rôle dans les sols est essentiel pour la bonne stabilisation de leurs propriétés. Elles y assurent un rôle de répartition des éléments minéraux et de l’eau nécessaires à la croissance végétale. L’équilibre de la plupart des sols en dépend donc celui des plantes qui s’y développent.
Au-delà de la croissance de la plante, l’argile se retrouve au sein de techniques chimiques d’extraction des principes actifs. Leur rôle se justifie par leurs propriétés physicochimiques et par leurs propriétés catalytiques.
Au titre de matériaux transformables elles permettent de réaliser de nombreux produits manufacturés permettant d’exploiter les riches propriétés des huiles essentielles et des molécules odorifères (flacons, diffuseurs, fixateurs).
Si ces matériaux sont omniprésents dans le parcours vital de la plante, on les retrouve également dans la plupart des produits dérivés utilisés en cosmétologie grâce à leur origine naturelle mais aussi grâce à leur aptitude à former des gels et des pâtes.
La phytothérapie, application des plantes dans le domaine médical, utilise couramment les huiles essentielles adjointes à l’argile. Cet ensemble constitue un moyen thérapeutique naturel très efficace. Une présentation d’applications cliniques actuelles sera faite dans la seconde partie de cet exposé. L’essentiel des propriétés des argiles, lors de leur application thérapeutique, réside dans leurs petites dimensions et dans leurs propriétés de sorption et d’échange (dont les grandes lignes ont été précisées ci-dessus).
Notes
(1) Les argiles contiennent de l’eau ou des hydroxyles dans leur structure : il est important de souligner la présence de l’eau en les nommant “phyllosilicates hydratés”.
(2) Groupe français des argiles (GFA) : http://www.gfa.asso.fr/
(3) Consulter L’ouvrage “Argile et santé” chapitre 1, référencé en bibliographie.
Bibliographie
– Caillère S, Hénin S, 1963. Minéralogie des argiles, 1re édition, Masson, Paris.
– Caillère S, Hénin S, Rautureau M, 1982. Minéralogie des argiles, 2e éd., 2 tomes, Masson, Paris.
– Carretero I, Pozo M., 2007, Mineralogía Aplicada, Thomson ed., Madrid.
– Dissanayake C.B, Chandrajith Rohana, 1999, Medical geochemistry of tropical environments, Earth Sciences reviews, 47, 219-258.
– Dissanayake C.B, Chandrajith Rohana, 2009, Introduction to medical geology, Lavoisier ed.
– Handbook of clay science, Collectif : Bergaya F., BKG Theng, G. Lagaly et al., 2006, Elsevier ed.
– Hénin S (1960). Le profil cultural, SEIA, Paris.
– Millot G (1964). Géologie des argiles, Masson, Paris.
– Rautureau M. et al., 2010, Argiles et santé, Lavoisier éd.