Conférence : Place de la plante dans un système de santé publique – 1er avril 2011
Par le dr Jean-Christophe Charrié – médecin généraliste (Grasse – Symposium international d’aromathérapie et de plantes médicinales)
Cet exposé montre le type de résultats cliniques qui peuvent être obtenus sur des plaies chroniques grâce à l’emploi de moyens thérapeutiques synergiques différents constitués d’argile et d’extraits totaux de plantes médicinales appliqués au patient.
De tels traitements apportent un bénéfice important en termes de soins et d’efficacité, mais aussi en termes financiers et environnemental (ne sont utilisés ici que des produit d’extraction naturelle non modifiés).
Introduction
Le Pr Rautureau vient d’exposer toute l’intimité existant entre l’argile et la plante, ainsi que les raisons scientifiques les justifiant. Pour un médecin clinicien, certaines explications peuvent paraître complexes, mais il convient de s’y attarder pour comprendre les effets attendus de l’argile dans la thérapeutique.
Trop souvent, l’approche scientifique fondamentale oublie la finalité de l’application clinique. Dans le monde de la phytothérapie on est confronté aussi à cette même problématique. Les travaux des pharmacognostes, des pharmacochimistes, des pharmacologistes (…), bien que fondamentaux et indispensables à la connaissance de l’outil thérapeutique que représente la plante, n’apportent que peu de réponses concrètes aux applications cliniques du totum de la plante. En effet la réalité clinique démontre à chaque instant que les effets obtenus sur le vivant par la somme des principaux composants de la plante sont toujours inférieurs à ceux générés par la totalité de la plante elle même. Car au-delà de la connaissance de la totalité des éléments qui la constituent, il convient de comprendre que le rôle capital joué par la fonctionnalité thérapeutique de ces éléments agissant en synergie – conséquence de la dynamique et des nécessités de vie de la plante qui les a produits – s’explique par la nature des effets physiologiques qu’ils peuvent induire dans le corps humain.
Les données issues de la tradition, d’égale importance pour nous médecins endobiogénsites(1), sont la résultante de millénaires d’observation. Pour la plupart de transmission orale, étudiées scientifiquement par les anthropologues médicaux, elles ont leur influence dans toutes les cultures. Le travail que nous menons actuellement en commun avec les médecins Mexicains(2), nous a appris la force de cette transmission. En effet les dévastations issues de la colonisation espagnole menée par Cortez avec destruction systématique, par le feu le plus souvent, des données écrites des indigènes aurait pu effacer à jamais cette mémoire de l’humanité. Les travaux menés depuis des années par le Dr Paul Hersch entre autre, médecin Anthropologue(3), auprès des indiens du Chiapas ont permis de récolter des connaissances ancestrales sur les plantes médicinales du Mexique, et de distinguer par exemple dans la sémiologie de ces indiens, des signes issus de différentes cultures indiennes autres que celles du Chiapas (Mayas, Aztèque, etc.…), et des signes issus de la médecine occidentale du XVIe siècle.
Avec la réflexion endobiogénique nous avons intégré les connaissances issues de la tradition, de la pharmacologie et de la clinique. Grâce à cette réflexion, nous avons pu expliquer les raisons de choix des plantes.
Avec le Pr Rautureau, nous avons souhaité partager nos connaissances, d’apparence si éloignées et pourtant si complémentaires. La présentation que nous faisons au cours du symposium de Grasse est une des manifestations de ce rapprochement.
Ayant appris la science de l’endobiogénie, je me suis familiarisé à l’usage de l’argile en clinique(4), et par ailleurs, utilisant principalement la plante médicinale comme outil thérapeutique, j’ai rapidement fait usage de la plante associée à l’argile. Pendant 10 années d’exercice hospitalier au bénéfice des patients souffrant de plaies chroniques(5), j’ai été amené à utiliser à maintes reprises, et avec succès, l’argile associée à des plantes médicinales dans des cas difficiles et chez des patients dénutris. Dans le cadre de cet exposé, je présente deux cas cliniques concernant le soin de plaie chronique.
Les cas cliniques présentés ont bénéficié d’une préparation en vente en pharmacie associant de l’argile dite verte de type principal “illite” dont la structure phylliteuse est à trois couches, à laquelle est associé de l’aloès (aloe vera) et des huiles essentielles de lavande (lavandula angustifolia), de romarin (rosmarinus officinalis) et de girofle (Eugenia caryophylata).
Alors pourquoi ce choix ? Tout d’abord cette formulation a été réalisée grâce au travail clinique de la Société Française de Phytothérapie et d’Aromathérapie (SFPA). Elle répond aux règles de l’endobiogénie et a pour objectif de favoriser les processus naturels d’autoréparation de l’organisme. Mais voyons, le détail des composants de cette préparation.
Travaux cliniques sur l’illite (Travaux de la Société Française de Phytothérapie et d’Aromathérapie)(6).
L’illite concernée (communément nommée argile verte(7)) a fait l’objet d’études cliniques nombreuses sur plus de 20 ans effectuées par un groupe de recherche de 22 médecins appartenant à la Société Française de Phytothérapie et d’Aromathérapie.
Les différentes propriétés thérapeutiques retrouvées sont, pour la voie locale les suivantes :
- cicatrisante ;
- détergente ;
- antiseptique ;
- anti-infectieuse ;
- antimycosique ;
- anti-inflammatoire ;
- désinfiltrante ;
- antalgique ;
- désodorisante ;
Expérience sur le traitement des maux perforants plantaires des lépreux réalisée au Sénégal avec l’illite seule
Ces propriétés thérapeutiques observées pour un usage local sont confortées par les résultats d’un essai réalisé au Sénégal par les docteurs Claude Duraffourd et Jean-Claude Lapraz, sous l’égide de la Fondation Raoul Follereau auprès d’une population de malades lépreux.
Le rapport définitif de “l’essai de traitement des maux perforants plantaires de la lèpre par l’argile verte” (incluant 65 patients, 31 cas d’étude et 34 cas témoins) réalisé par le Docteur Abdoulaye Ndiaye (Premier conseiller auprès du Ministère de la Santé du Sénégal) relate dans ses conclusions les résultats suivants :
Concernant les résultats après le traitement par l’argile verte (31 cas) :
la guérison avec cicatrisation complète a été obtenue en moins de deux mois chez 48,4 % des cas traités par l’argile ;
la cicatrisation à quatre mois est de 58,1 % des cas de l’étude. Deux derniers cas de guérisons surviendront respectivement au 5ème et 6ème mois du traitement portant à 64 % le taux de guérison à 6 mois de traitement par l’argile verte ;
l’action anti-inflammatoire et anti-infectieuse a été observée cliniquement en moins de deux mois dans 84 %.
Concernant les résultats des témoins (34) après le traitement par la méthode PNL (programme national contre la lèpre) établi par l’O.M.S. :
- les cas de guérison précoce à moins de 4 mois de traitement sont peu fréquents, le taux de guérison à 4 mois étant de 23 % ;
- le taux de guérison à moins de 6 mois de traitement n’est que de 26 % ;
- le taux de guérison sur une durée d’étude de 18 mois est de 58 %.
Cette étude conclut que l’argile verte est bien efficace pour le traitement des MPP (mal perforant plantaire) de la lèpre, grâce à une action anti-inflammatoire, anti-infectieuse et cicatrisante, cliniquement évidente. L’avantage de l’argile sur le traitement classique pourrait être :
- La précocité de l’action anti-inflammatoire et anti-infectieuse (moins de 2 mois) et cicatrisante (58 % à 4 mois), ce qui permettrait des traitements de plus courte durée, mieux tolérés ;
- La simplicité de la méthode de pansement pouvant être exécutée correctement par le malade lui-même à domicile ;
- L’accessibilité financière du traitement.
Intérêt des autres constituants de cette préparation :
Conclusions
Au total, au travers les études citées ci-dessus, cette préparation par ses propriétés anti-inflammatoire, anti-infectieuse et cicatrisante doit permettre la mise en évidence de l’évolution favorable de la plaie, en particulier sur sa composante inflammatoire et microbienne.
L’étude de cette préparation repose, comme nous l’avons vu, sur des connaissances scientifiques établies et sur une expérimentation concernant chacun de ses composants.
Le risque encouru par les patients est par ailleurs inférieur aux bénéfices escomptés. Au pire, on peut s’attendre à une stagnation de la lésion. Le seul risque potentiel connu est de type allergique, lequel correspond à une eczématisation des pourtours de la plaie, ce qui est également décrit avec les différents traitements utilisés dans ce type de soin.
Modalité clinique d’application
Remarque préalable : nous avons choisi volontairement deux cas cliniques dont les photographies présentent le moins de risque possible pouvant choquer les lecteurs.
Dans notre approche clinique, nous avons utilisé cette préparation au sein du Centre d’Activité Plaies et Cicatrisation (CAPCic)(10) de l’hôpital de la Rochelle. Nous l’avons utilisé pour déterger des escarres nécrotiques et des ulcères fibrineux résistant aux autres traitements de détersion.
Les soins sont à réaliser une fois par jour, ils comprennent :
- lavage de la plaie avec une solution de chlorure de magnésium à 20 ‰ dans du sérum physiologique stérile ;
- séchage avec compresses stériles ;
- détersion manuelle si besoin ;
- protection des berges de la plaie avec de la pâte à l’eau (Argile blanche, oxyde de zinc, glycérol) ;
- application le la préparation en couche épaisse (environ 1/2 cm d’épaisseur afin de maintenir une bonne humidité au contact de la plaie) dans l’ulcère sans déborder sur la surface cutanée ;
- recouvrir de compresses stériles, humidifier si besoin avec la solution ci-dessus et placer un bandage réalisé de façon à maintenir l’humidité du pansement.
Premier cas clinique :
Il s’agit d’un patient masculin, âgé de 78 ans, multi artéritique amputé du membre inférieur droit, dénutrie, et suivi par le CAPCic pour cicatrisations de son moignon d’amputation et de plaies de distalité sur le membre restant. Les soins sont réalisés tous les jours, la plupart du temps au domicile par l’infirmière libérale, et deux fois par semaine par l’Equipe du CAPCic.
A la suite d’une malposition lors d’un repas, son genou gauche en appui contre la table présente l’apparition d’une escarre d’évolution rapide. En l’absence de médecin, et en attendant sa consultation programmée deux jours plus tard auprès du CAPCic, l’infirmière du domicile habituée aux soins avec la préparation d’argile et de plantes médicinales met en place le premier pansement sur la plaque de nécrose.
Deux jours plus tard, apparaît le sillon d’élimination et le ramollissement de la nécrose ce qui lui permet d’éliminer la nécrose avec le bistouri.
Nous recevons le patient le lendemain 17 janvier 2008 avec cette plaie photographiée à (J + 3). Elle présente un pourtour inflammatoire marqué, une fibrine épaisse en son centre et déjà un bourrelet périphérique actif.
Nous poursuivons les soins avec la même préparation.
- Son aspect à (J + 21) soit le 4 février 2008 : la fibrine centrale à totalement disparu, du tissus tonique a pris sa place, l’inflammation périphérique à diminuée.
- Nous poursuivons les soins avec la même préparation.
- Son aspect à (J + 42) le 25 février 2008 : disparition de l’inflammation périphérique, le bourgeon charnu est très actif et occupe toute la place et favorise l’épithélialisation.
Nous arrêtons la préparation et terminons les soins à l’aide d’un tulle.
À (J + 63) le 17 mars 2008 : la plaie est pratiquement cicatrisée.
Second cas clinique :
Il s’agit d’une escarre trop classique concernant l’appui du talon droit chez un patient âgé de 78 ans grabataire et dénutri.
Voici son aspect lors de notre prise en charge le 25 février 2008.
Il existe une nécrose noire centrale 90 % et un bourrelet périphérique de qualité moyenne (zone claire témoignant d’une faible vascularisation). Différents pansements ont été réalisés pour ramollir cette nécrose, une scarification a été effectuée. Devant une réponse insuffisance de ces différents protocoles nous mettons en place le soin avec la préparation Argile et plantes médicinales.
Voici son aspect à (J + 14) soit le 10 mars 2008 après détersion au bistouri des tissus nécrosé (peau et coussinet adipeux talonnié.
Et maintenant son aspect à (J + 24) soit le 20 mars 2008. Il reste en position centrale de la fibrine ; la périphérie présente un tissu actif très tonique.
Enfin son aspect à (J + 35) le 31 mars 2008, où l’on remarque de nombreux bourgeonnements actifs en position centrale et un début de comblement de la perte de substance.
Ce qui est intéressant dans ce cas clinique c’est que malgré une évolution satisfaisante de la plaie, il est apparu une escarre sur le talon gauche.
Une photographie a été réalisée dans les premiers jours de son apparition.
Un peu plus d’une dizaine de jours plus tard, la nécrose est totalement ramollie et on aperçoit clairement la présence circonférentielle du bourrelet d’élimination. Ce signe donne le feu vert à la détersion mécanique
Après la détersion, on s’aperçoit que la plaie est très tonique et, fait rare, il y a même un saignement.
Sur cette image pleine d’espoir, nous suspendons cette présentation clinique.
Nous avons de nombreux cas cliniques similaires. En pratique, nous avons utilisé ce protocole, parfois en désespoir de cause, et obtenu des résultats inespérés. Bien familiarisé à son usage nous l’avons ensuite appliqué en première intention et rarement nous avons été déçus par le résultat obtenu qui était celui que nous attendions.
Nous avons récemment évalué une autre préparation à base d’argile dite verte, de miel, de cire d’abeille et d’huile riche en acide gras essentiels, indiqué dans les plaies non surinfectées. Il s’avère que cette préparation trouve toute sa place dans la suite des soins faits avec celle comprenant les huiles essentielles.
Nous souhaitons maintenant pouvoir faire une étude d’évaluation de ce type de prise en charge à grande échelle avec la ville de Mexico dans le cadre de son programme d’intégration de la plante médicinale dans le système de santé publique et gratuit ; nous espérons vous présenter les résultats de ces travaux dans les 5 années à venir.
Note
1.Dr C. Duraffour , Dr J.-C. Lapraz ; Traité de Phytothérapie clinique, endobiogénie et médecine, éditions MASSON, Paris 2000.
2.Collaboration entre la SIMEPI (société Internationale de Médecine Endobiogénique et de Physiologie Intégrative) et la SMFC (Sociedad Mexicana de Fitoterapia Clinica, A. C.).
3.INAH (Instituto Nacional de Anthropologia e Historia – Mexique). http://www.inah.gob.mx/
4.Dr J.-C. Charrié ABC de l’argile, éditions Grancher, Paris 2007.
5.Dr P. Chasseuil, Dr J.C Charrié ; Le centre hospitalier de La Rochelle met le cap sur la cicatrisation ; Journal des Plaies et Cicatrisation N°75 09/10 XV pp 10-13.
6.Ensemble des travaux relevés dans l’ouvrage ABC de l’argile (référence donnée ci-dessus).
7.La couleur d’une argile reflète en partie sa constitution chimique mais n’est pas particulièrement en relation avec les propriétés thérapeutiques car des argiles très différentes peuvent avoir une couleur quasiment identique. Toutefois, un large public s’est habitué à caractériser une argile par sa couleur. Ainsi, l’illite a le plus souvent la couleur verte, ce qui justifie cette dénomination « d’argile verte ». En cas d’applications précises, il faut se référer à la classification des argiles (voir « Argiles et santé, 2010).
8.Dr R. Dodeur, 1999. Place des moyens thérapeutiques d’extraction naturelle pour les malades en soins palliatifs ; Mémoire Diplôme Universitaire soins palliatifs, Faculté de médecine de Lille.
9.F.J. Diarra, Etude comparative de deux régimes thérapeutiques dans le traitement des maux perforants plantaires d’origine lépreuse observés à l’institut Marchoux de Bamako (Mali) ; Thèse de Médecine, 22/01/2000, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odonto-Stomatologie du Mali.
10.P. Chasseuil, J.-C. Charrié, Le centre hospitalier de La Rochelle met le cap sur la cicatrisation ; une vision intégrative de la prise en charge des plaies avec le Centre d’Activité Plaies et Cicatrisation (C.A.P.Cic.), Journal des Plaies et Cicatrisation N°75, septembre 2010 Tome XV.